L’autre jour, ma petite voisine du dessous s’ennuyait comme un rat mort. Elle venait frapper à ma porte toutes les cinq minutes, me demandant si je n’avais pas des revues pour elle. Mais les seules revues que j’ai sont en français, et elle n’est pas vraiment attirée par les livres en espagnol que je pourrais lui prêter.
Heureusement, j’avais sous la main une boîte de peinture rudimentaire achetée dans un de ces magasins « Tout pour un dollar » (enfin, peso convertible maintenant) qu’on trouve dans le centre commercial Carlos Tercero.
Son visage s’illumine, elle file chez elle, déniche plusieurs bouts de contreplaqué, et se met à l’ouvrage avec enthousiasme.
Dix minutes plus tard à peine, elle refrappe à ma porte : elle a dessiné un désert, le soleil, quelques cactus, un chameau hiératique, et trois bonshommes. Je la félicite et mets le bout de bois à sécher au soleil.
Dix minutes plus tard, la revoilà à ma porte, cette fois avec un autre tableau représentant la mer, un gros bateau, le drapeau français (c’est elle qui a insisté) et trois bonshommes. Nouvelles félicitations. Mais déjà son inspiration commence à faiblir, elle me demande ce qu’elle pourrait peindre maintenant, je lui suggère de représenter La Havane.
Et pas plus de dix minutes plus tard, la revoilà devant ma porte, avec un très beau tableau du Malecón vu de la mer, les immeubles au fond, les vagues au premier plan, et trois bonshommes sur le parapet. J’aime vraiment beaucoup celui-là, son bleu profond, ces ocres, sa structure.
Un peu intriguée quand même, je finis par lui demander qui sont ces trois bonshommes qu’elle dessine systématiquement : « —Ce sont tes frères et sœurs ? » « —Ben non, c’est un p’tit blanc, un p’tit métisse, et un p’tit noir » me répond-elle un peu surprise. Effectivement, il y en a un qui est peint de blanc, l’autre de noir, et le troisième de marron.
Ca lui paraît tellement évident, cette façon de représenter une foule, que ce soit sur un bateau français, dans un désert indéterminé, ou sur le Malecón habanero.
Et c’est vrai que Cuba est le seul pays où j’ai vécu où j’oublie presque toujours la couleur de la peau des personnes avec qui j’ai parlé quelques minutes plus tôt, tout simplement parce que ce n’est plus un trait distinctif pertinent que de se souvenir que untel est blanc, ou que untel est noir.
Pourtant, tout n'est pas si simple; pour beaucoup de Cubains, le racisme et la discrimination reste quelque chose de quotidien, malgré le métissage presque total dans l’île. Et il y a ce geste si méprisant —se frotter brièvement l’avant-bras avec l’index, comme pour étaler une pommade— pour dire sans le dire que la personne dont on parle est noire…
Au milieu de ces contradictions, l'intuition de ma petite voisine m'a rassurée.
23 novembre 2006
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2 commentaires:
Ah te revoilà.
J'aime ça.
Daniel, à Montréal.
trois petites notes de musique, une blanche, deux noires et on a un opéra !
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