La moitié de La Havane doit l’avoir vu d’une façon ou d’une autre, au cours des dernières semaines. C’est toujours impressionnant, ces phénomènes de diffusion souterraine dans l’île. Il s’était passé la même chose il y a deux ans avec un court-métrage satirique d’Eduardo del Llano, Monte Rouge :
Monte Rouge, de Eduardo del Llano
Cette fois, c’est un sketch de sept minutes et quelques, mal filmé, au son mauvais, qui passe d’ordinateur en ordinateur, dans les entreprises, à l’université. Beaucoup l’ont vu, d’autres en ont entendu parler. Impossible de savoir quand ça a commencé, je l’ai vu pour la première fois il y a deux mois, et hier, de passage dans une entreprise cubaine, je l’ai reconnu sur l’un des ordinateurs du bureau.
Sur l’écran, on voit un type assis, seul sur une petite scène, sans doute une de ces peñas typiques de Cuba, réunions régulières, rendez-vous mensuels ou hebdomadaires, à la programmation ouverte. Habillé de noir, devant un public que l’on ne voit pas mais qu’on entend rire, il lit quelques pages de ce qu’il a appelé Mi Habana, "Ma Havane".
Tout y passe, des files d’attentes aux camellos, des immeubles en ruines («de mon immeuble je regarde le reste de La Havane… non… LES restes de La Havane»), à la bière infecte qui s’achète directement aux citernes lors des ferias, des médecins envoyés au Vénézuela au goût transparent du frozzen. Le texte est caustique et sobre, bien écrit :
Mi Habana
En riant aux éclats, des amis m’ont dit que le type vivait sûrement à l’étranger, ou alors qu’il était sur le point de partir, que ce n’était pas possible que quelqu’un vivant ici ait pu lire ce monologue.
Et bien non, le type vit bien à La Havane, une de mes amies le connaît bien et l’a rencontré l’autre jour. Elle lui a parlé du sketch, il lui a dit la folie dans laquelle il vivait : «Tout le monde m’en parle, si j’avais su…». C’est juste un étudiant qui est monté sur scène un jour pour faire ce sketch. Quelqu’un l’a filmé avec un appareil photo numérique, et la chaîne a commencé. Et à Cuba, quand la chaîne commence, elle se termine sur les grandes chaines hispanophones de Floride, consécration et parfois malédiction pour les auteurs.
Pour Monte Rouge, ça avait entraîné toute une série d’articles, et même une espèce d’autocritique de la part de l’auteur. Presque tous les documentaires filmés par de jeunes réalisateurs cubains se retrouvent aussi à un moment ou un autre en Floride, parfois de façon rageante pour eux. En dehors du fait qu’ils ne perçoivent aucun droit pour ces diffusions sauvages (ils ne sont généralement pas prévenus), les films sont parfois remontés, à la hache.
Le court-métrage ironique Utopía, de Arturo Infante, a paraît-il subi ce sort : composé de quatre «mouvements», comme un opéra, mais racontant trois histoires différentes entrelacées, les diffuseurs américains ont tout simplement défait le montage délicat pour raconter les trois histoires de façon linéaire…
Un peu dur à avaler pour les réalisateurs, pris en sandwich entre un gros manque d'exposition dans l'île et une déformation politisée en face.
Utopía, de Arturo Infante
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1 commentaire:
Toujours bravo et merci. Merci pour une certaine idée du Cuba qu’on aime, et merci pour ceux qui ont du plaisir à vous lire.
Et bonne année!
Jean Frederic
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