Peu de choses ont changé ici depuis le 31 juillet. L’attente s’étend, jour après jour, horizontale, mais les repères habituels, le cadre dans lequel se déroule la vie quotidienne, l’univers médiatique… tout cela est quasiment identique. A un détail près, un détail d’envergure : la brièveté des interventions publiques, des fameux "actos".
Avant, à la moindre «Mesa redonda», à la plus matinale des «Tribuna abierta», à chaque graduation de diplômés où Fidel prenait la parole, les Cubains étaient sûrs que toute la programmation des heures suivantes allait être chamboulée.
Ses interventions ne duraient jamais moins de trois heures (c’est même devenu une coquetterie d’orateur chez lui, « je vous promets que j’ai bientôt fini… » et toute l’assistance de rire malgré tout : invariablement, cela annonce plusieurs heures à suivre), il abordait tous les sujets possibles, sans lien nécessaire avec le lieu ou le moment de la convocation, et –surtout— sans interlocuteurs : jamais de dialogue, jamais d’interruption, un flot de paroles, fatigué ou hésitant, dont il fallait attendre qu’il se tarisse de lui-même : impensable de l’interrompre (en cela, sa familiarité incroyable avec Hugo Chavez a quelque chose d’inédit, presque de sacrilège).
Par sa seule présence, Fidel renversait tous les cadres, bousculait tous les horaires de la télévision nationale et de ses téléspectateurs, comme une incarnation de la démesure, comme un démiurge fatigué recréant l’univers à son image.
Au printemps 2005, au moment du lancement de la vente d’électroménagers par le carnet de rationnement, il est apparu une trentaine de fois en deux mois : presque un soir sur deux, Fidel faisait un discours à la télévision, entre deux et cinq heures à chaque fois.
Tout l’espace médiatique cubain était capturé par cela, pris en otage, confisqué : mais ces discours étaient devenus répétitifs (comment ne l’auraient-ils pas été ?), des énumérations, des listes, des réécritures de l’histoire cubaine et universelle, pour la ènième fois, des calculs de watts et des additions de médecins… très loin des incroyables discours de ce tribun fameux.
A ce propos, un ami se souvenait un jour « des discours de Fidel, où l’on riait, on pleurait, on apprenait, on s’indignait : c’était une vraie expérience, pleine, totale ». C’était « avant », il y a longtemps, avant la Période spéciale.
Bref, depuis le 31 juillet, ce flot de paroles, cette réécriture permanente du présent, du passé et de l’avenir, a cédé la place à des interventions synthétiques, précises, parfois même critiques, de Raúl Castro.
Les "actos" retransmis à la télévision se tiennent dans leur case de deux heures, de 18h à 20h pile, quand avant cela pouvait s’étirer jusqu’à minuit. Cette ponctualité soudaine, cette mesure dans l’usage de la parole, cette concision thématique : tout cela est nouveau, surprenant. Que les choses se déroulent comme elles sont prévues, sans tourbillons, sans ouragans, n'a rien d'extraordinaire, mais cela rejoint un peu cette soif de normalité dont parlait Padura.
11 octobre 2006
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