Aujourd'hui, je laisse la parole à un ami, pour une chronique à vif venue de Marianao :
"… Ca ferait un titre de résultat de baseball, mais ce n’est que celui de la mort au quotidien ; au milieu des rumeurs grandissantes au sujet de la mort du líder maximo, un Roberto est mort.
Né la même année que la révolution, 48 ans, physique d’athlète, Roberto avait parcouru les mers du monde en tant que marin de la marine marchande cubaine.
Suite à un accident à bord, il reçoit une indemnisation de l’armateur (étranger) et quitte aussitôt la marine. Comme à tous les marins, pour le remercier de ne pas avoir cédé à la désertion (être toujours revenu à Cuba), le gouvernement cubain lui délivre LA véritable faveur, un papier qui lui donne l'autorisation d'acheter une voiture : l’indemnisation y passe, et Roberto apparaît au volant d’une Fiat Uno bleu flambant vieille, un trésor à Cuba.
Roberto commence une nouvelle vie : botero, entendez taxi clandestin. Les affaires vont bien, il répare sa maison, finance les études, pourtant gratuites, de ses fils, le bonheur quoi — et avec quelques tragos de rhum, ça y ressemble encore plus.
Il y a quelques mois, juste quand Fidel tombe malade, le fils de Roberto, sans permis de conduire, explose la Fiat contre un poteau, le drame.
Roberto toujours souriant et courageux, habitué aux tempêtes de haute mer et de verre de rhum, se met à la tâche et parcourt à pied et en stop toute La Havane, et morceau après morceau reconstruit sa voiture. D’accord, il reste un grand trou dans le pare-brise avant qui tient avec du gros scotch "Havana Club", le pare-brise arrière lui a été remplacé par du contreplaqué, il attendait le vernis.
Portières, capot, tout ça redressé et repeint au pinceau tient la route, et encore mieux la rue de La Havane, où des milliers de clients las d’attendre un bus hypothétique vont payer 5 ou 10 pesos la course, et la vie redémarre pour Roberto et sa famille.
Ce mardi, c’est la fête, la Fiat est enfin prête, Roberto interpelle ses voisins, "vous avez vu, j’y suis arrivé !", les voisins sont contents, car c’est à chaque instant que l’on a besoin de lui.
C’est la fête mais un peu trop, trop de rhum aussi, la Fiat traverse une avenue un peu limite devant une Moskwitch de l’ère soviétique qui, hier comme aujourd’hui, n’a pas de frein, et c’est l’accident.
La Fiat Uno est détruite, le gars de la Moskwitch hurle et déjà parle d’argent, personne n’est blessé, ils finissent par se calmer, Roberto reconnaît qu’il a un verre de trop, et il promet de réparer les dégâts causés même s’il sait que c’est presque impossible. Roberto rentre chez lui à pied, sa famille l’accueille, aussi désespérée que lui. Au réveil, ses deux fils découvrent Roberto pendu à une lampe ventilateur de son salon, pendu à une ficelle fluette et ridicule, mais qui a rempli sa mission, en finir avec une vie qui tenait à un autre fil : Fiat Uno-El Vecino… "
14 décembre 2006
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5 commentaires:
Une histoire d'autant plus triste qu'elle est bien racontée, avec pudeur et sobriété...
Merci de nous faire partager un peu de ce Cuba qu'on connaît peu.
halo tortue, je suis san paroles, j'ai pleure', merci pour ca, y un salut a l'ecrivain de cette histoire emouvante et si tristement "cubaine".
Histoire bouleversante.
merci de nous faire si bien partager votre"vrai"cuba
merci!!!
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