30 janvier 2007

après-midi d'anniversaire

Invitée par hasard à l’anniversaire de la petite-fille d’un des premiers présidents cubains, du début du XXe siècle —une "petite-fille" qui fêtait donc ses quatre-vingt et quelques années…
Ce fut comme entrer dans une autre Cuba, une Cuba aristocratique, de cette aristocratie du sucre qui a régné ici pendant des siècles (et je pensais aux Survivants, le film ironique de Titón).
Dans le patio intérieur et soigné d’une belle maison basse, à l’ombre de deux palmiers mollement bercés par le vent, toute une société de vieilles dames s’est réunie au fil de l’après-midi.
A priori, les ingrédients étaient les mêmes que pour n’importe quel anniversaire cubain: des verres en plastique blanc avec au choix du coca ou un liquide orange indéterminé, puis la traditionnelle assiette qui réunit dans un côte à côte improbable une friture salée, un chausson à la goyave, un peu de salade de pâtes à la mayonnaise et une part de gâteau bleu ou rose (ah, le «cake azul»—prononcez kèkassoul— toute une institution ici…).
Tout le monde a repris en chœur «Felicidades en tu día, que lo pases con sana alegría, felicidades, etc…», elle a soufflé une bougie. Bref, tout était habituel, et pourtant.
Leurs manières, leur façon de s’habiller, de s’exprimer : à quoi cela tient-il? Où se loge la trace d'une éducation et d'un héritage? Dans un regard sûr de lui et de sa présence au monde? Dans un dos plus raide, une nuque plus droite? Dans des sujets de conversation que l’on ne converse pas? Dans d'autres qui sont eux inattendus et pour le coup très cubains (ah, ces commérages en cheveux gris sur le sex appeal du nouveau président équatorien, Rafael Correa, «tu as vu comme il est beau garçon? » «oh, oui, et il est grand!» «écoute, même s’il est capitaliste, moi il me plaît bien…» «mais tu crois qu’il est marié?» «je ne sais pas, on ne les voit jamais, leurs femmes…» «…oui, c’est comme Chavez, on ne connaît pas sa femme.» «bah, ils font tous comme celui d’ici, dont on ne sait rien» «non, c’est pas vrai, un jour à la télévision ici, ils ont montré Chavez avec sa femme» «oui, c’est vrai, je me souviens, quand il est venu en 94»… et ainsi de suite. )
Ces quelques heures ont été comme un voyage dépaysant, témoignage d'une Cuba caduque, vilipendée, mais qui a existé, une high class oisive, rentière, sûre d'elle et très riche — certes, la richesse en moins désormais.
Dans l’île que je connais, cette classe-là n’a plus sa place, elle a été remplacée dans la hiérarchie sociale par l’élite bureaucratique ou militaire, ou par les nouveaux riches de la période spéciale, de vrais pirates.
Il y a de nombreuses classes sociales à Cuba, malgré l'obsession d’égalitarisme de Fidel Castro. Et si pendant trente ans, les écarts ont été réellement réduits, ils ont depuis largement repris leur position : certains Cubains gagnent vraiment beaucoup d'argent, d'autres vraiment trop peu. Comme dans beaucoup d'autres pays, me direz-vous. Exactement.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Ces fantômes du passé sont partout à Cuba, à commencer par les voitures d'époque qui rappellent à chaque coin de rue une période d'insouciante abondance, les maisons aussi ont très souvent une vitrine dans le salon ou la salle à manger, emplie de verres en cristal bien astiqués qui ont dû servir pour la dernière fois pour fêter le départ de Batista.

Comme le futur est interdit de séjour, le passé est un invité permanent.

A propos des classes sociales, il y a une catégorie qui me semble en pleine ascension, c'est celle des caissières de supermarché. J'en connais une qui ne sort pas sans son téléphone portable (2 ans de salaire pour le téléphone + la ligne) elle vient d'engager une cuisinière/femme de ménage (qu'elle paye 5 fois son propre salaire officiel) et elle cherche à faire une "permuta" pour déménager dans un bel appartement...

De temps en temps il y en a qui tombent et d'autres qui quittent le pays. Cet exode des enrichis soucieux de ne pas exploser en vol a l'air d'être une nouvelle tendance. D'ailleurs l'exode se porte bien en ce moment, une nouvelle route a été ouverte par les "lancheros" mexicains, leurs bateaux avec de très gros moteurs assurent la traversée des clandestins prêts à payer quelques milliers de dollars pour passer de l'autre côté...

(j'ai toujours pas d'identité, Google n'a pas son visa pour l'internet cubain).

Anonyme a dit…

... sans oublier, dans ces vitrines, la porcelaine de Sèvres... ces traces d'un passé prospère sont parfois remplacées chez les autres par des collections de paquets de cigarettes vides de marques étrangères, de verres disparates, de poupées fanées...

Dans cette île-là, l'argent, le bien-être sont devenus hors-la-loi.

C'est pour ça que les riches d'aujourd'hui ne sont plus les grands architectes, les ingénieurs, les chirurgiens (ils ont laissé tomber leur job il y a longtemps pour devenir chauffeurs de taxi) mais les mafieux (comme on dit à Cuba) en tout genre, petits et gtands (souvent, quand on passe dans une rue, au milieu des maisons en ruine, s'en dresse une, superbement rénovée, et on apprend bien vite que la fille de cette maison a réussi à épouser un Italien qui pourrait être son grand-père...) et ça, ce n'est pas vraiment partout pareil, non ?

J'ai trop souvent entendu : et chez nous finalement, vous croyez qu'elle existe vraiment la démocratie ? J'espère bien qu'elle existe, même si elle est d'essence idéale et donc toujours perfectible.

Anonyme a dit…

je ne comprends absolument pas comment envoyer un message sur ce site... bref pas grave. Bravo, mais pourquoi si peu de textes (et pas de photos ?) dans un pays où tous les jours l'incongru et l'inattendu journalier sont suffisammment fort pour stimuler une créativité du soir de quelques lignes, non ?

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