19 janvier 2007

j’aime bien tes yeux, mais…

Les compliments cubains, c’est quelque chose d’inénarrable, de désarmant.
Hier, un parqueador que je vois pour la première fois me regarde avec intensité, réfléchit un instant, puis susurre sa phrase de séducteur maladroit : «J’aime bien tes yeux». Un temps. «Mais j’aime pas tes dents».
Je suis pressée, déjà loin, mais je ne peux pas m’empêcher d’éclater de rire face à cette sincérité presque maniaque, ce compliment tourné comme une douche froide.
Ici, il faut s’attendre à tout : chaque jour amène son lot de surprises. C’est un des avantages de vivre à Cuba : l’inventivité de ces petites phrases sans lendemain qu’on entend sur son passage.
Cela va du «Gracias» jeté sans rien de plus avec un sourire complimenteur, au «Si tu veux, on se marie» proposé par un octogénaire assis sur le pas de sa porte, qui peut se décliner en «Toute la vie avec toi !» lancé depuis l’autre côté de la rue que l’on vient de traverser.
Les Cubains sont des acteurs, qui mettent leur vie en scène : la moindre rencontre est comme une retrouvaille inespérée (et l’on se prend dans les bras, on se serre, on se cajole, on ne s’est pas vu depuis… depuis la veille au moins), le moindre piropo est le prétexte à une déclaration enflammée (l’autre jour, je croise un type dans la rue, je le sens se retourner sur mon passage puis je l’entends dire comme pour lui « ¡ Que Dios bendiga esos ojos ! »).
Pour les piropos, les hommes cubains ont quelque chose d’ingénu, d’enfantin, de systématique: croiser une femme, quelle qu’elle soit, s’accompagne toujours d’un torticolis. Ils sont comme des enfants qui voient passer un sac de bonbons, l’envie est trop forte, irrépressible, ils se retournent sur son passage.
Marcher derrière un homme dans la rue, c'est comme entrer dans un sketch en boucle : cette façon de se retourner sur chaque passante, en accompagnant son regard d’un sifflement, d’un piropo, d’une exclamation, et de dévisager lentement le corps qui s’éloigne, avec minutie…
Jeunes, vieux, policiers, militaires, paresseux, pressés, tous le font : irrépressible je vous dis.
Ca semble lourd, c’est surtout ludique je dirais. Je sais que beaucoup ne seront pas d'accord, mais il se trouve qu'ici, je n’ai jamais entendu ces piropos s'accompagner d'insultes ou de menaces… au contraire, cela fait plus penser à des joueurs, dans un jeu qui se joue à deux —avec plus ou moins de finesse.

Piropo : compliment à la cubaine

PS : je me souviens d’un billet écrit par Est/Ouest sur les différentes façons de regarder. En la lisant, je m'étais rendue compte que ces piropos cubains qui parfois deviennent agaçants, énervants, lassants par leur côté systématique, ne sont en tout cas jamais insultants. Et c'est une grande différence.

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Salut, encore un petit mot sur le piropo qui n'a rien de particulièrement cubain : en Espagne aussi on utilise ce mot pour ce genre d'activité ludiques... Les gitans sont célèbres pour leurs "piropos" salés et souvent drôles

antoine a dit…

Je découvre le piropo avec votre chronique et c'est Palomar, le héros d'Italo Calvino, que j'ai sous les yeux... Je me rappelle ses efforts pour rendre un hommage juste à une belle femme qui prenait le soleil: un regard qui ne soit ni un trop bref coup d'oeil, pas assez valorisant, ni un rinçage d'oeil insistant, trop envahissant. Améliorant son oeillade passage après passage, il finit par faire fuir celle qu'il voulait flatter. Je me demande quel enchaînement de compliments sans cesse plus "justes" Palomar aurait adressé à une passante ;-)

Anonyme a dit…

pas mal la drague cubaine!

Anonyme a dit…

je découvre ce blog ....
très intérêssante cette description de la vie Cubaine ..
merci et bonne journée

Anonyme a dit…

Salut,

Absolument d'accord avec toi. C'est tjrs gentil.
La nomade qui prépare son voyage à Cuba

Anonyme a dit…

Celui qui me plaît le plus c'est "si tu cocinas como tu caminas yo me como todo hasta la raspita"

Ce qui veut dire "si tu fais la cuisine comme tu marches, je mange tout jusqu'au fond de la casserole"

la raspita, c'est ce qui reste au fond, qui attache un peu et qui est tellement bon, commme dans le "arroz amarillo" pour faire local ou dans le gratin dauphinois par exemple. (au bout de 2 mois à Cuba on en vient à penser à ces plaisirs simples...)

Anonyme a dit…

Holà guapa !
J’aime mieux vos piropos que le Que Mango que j’entends un peu partout. Vous répondez à une question posée il y a un mois, merci.
Quant à la personne qui cite "si tu cocinas como tu caminas..." la version que j’ai entendue finit en dégustant"su nalgas". Bien plus parlant, non?
jfk

Pablo a dit…

Oui, le piropo n'est pas un terme spécialement cubain. Au Venezuela c'est, tout comme à Cuba, le sport national.
Je me souvenais de plusieurs, mais en ce moment, le seul qui me vient à l'esprit c'est celui du café… quand une belle morena passe dans la rue, le type se retourne et lui dit : "belleza de café, quisiera ser el azucar que endulza tu vida". Ça fait à peu près Ma beauté de café, j'aimerais être le sucre qui adoucit ta vie".
C'est sûr, ça ne va pas trop avec des yeux clairs, qui se prêtent plus à des images maritimes, océaniques… Mais c'est vrai, tu as raison, que c'est surtout un jeu, un plaisir, comme un bonbon.

Anonyme a dit…

Hola ! Un amigo me mando tu link. Gracias por la risa q me diste ! Estoy de acuerdo contigo ! A mi tambien me gustaron los piropos cubanos. La pasé muy bien alla !