C’est un grand espace vert, à une vingtaine de kilomètres de la capitale. On y trouve des chevaux, des collines, des bosquets, un lac artificiel, un aquarium avec trois crocodiles qui somnolent la gueule ouverte, un monument qui représente une gigantesque tête de Lénine d’un blanc de neige, tout ça éparpillé sur des kilomètres de campagne.
J’y suis allée avec des amis cubains qui pour la plupart n’y avaient pas remis les pieds depuis une quinzaine d’années. Avant (c’est-à-dire avant 1989), il y avait des transports en commun, des bus, des voitures… bref, il était assez simple d’aller au parc Lénine.
Mais depuis, c’est une autre histoire: l’endroit est trop excentré, les bus trop aléatoires, plus personne ne vient jusqu’ici.
Tandis qu’on longe les prairies de l’entrée, un ami me raconte que dans sa jeunesse, on lui parlait sans arrêt des délinquants et des dissidents qui se cachaient ici. Il raconte l'histoire de l’écrivain Reynaldo Arenas qui fut arrêté au pied d’un arbre, près de là où nous passons, plongé dans L’Iliade d’Homère. Il était tellement absorbé par sa lecture qu’il n’avait pas vu s’approcher les policiers à sa recherche depuis plusieurs semaines.
Sur notre gauche, on dépasse la Maison du thé, où un ami désoeuvré venait boire toute la journée au pied des bustes de poètes russes, pendant les longues journées vides du periodo especial. Elle a été démantelée : ne restent que les structures du toit, démonté, et quelques pans de murs.
Un peu plus loin, c’est l’amphithéâtre qui réserve de mauvaises surprises. L’idée était belle : un amphithéâtre à flanc de colline, les sièges scupltés dans la pierre, et une scène flottante au milieu d’un petit lac. « Ici c’était bondé, il y avait des spectacles fabuleux », se souviennent-ils en chœur.
Juste un souvenir : les sièges de pierre sont envahis d’herbes, toutes les structures métalliques ont été démantelées, le lac est plein de vase et la scène s’est à moitié détachée, flottant au bout du lac.
Une amie se désole: « Tu penses qu’un jour tout ça pourra être récupéré ? »
Tout est désert, là où auparavant il y avait foule. Ils me racontent tout ce qu’on pouvait trouver ici, des bonbons qu’on ne trouvait pas en ville, des glaces, des trésors d’enfants.
Dans l’aquarium, un long couloir encore bordé par ses vitraux multicolores, ponctué de bassins avec des poissons qui ne voient plus grand-monde, mais n’ont pas l’air de s’en porter plus mal, on croise quatre tortues et trois crocodiles, et un employé, presqu’incongru, qui nettoie un grand bassin vide.
Plus loin, on prend le chemin d’un restaurant qui fut magnifique. On n’y trouve que cinq tables —dont quatre sont vides— là où trente pourraient tenir facilement. Deux serveurs s’ennuient au comptoir, ils écoutent la radio poussée à fond qui retransmet le match de foot Italie/ Portugal. Sur le menu, deux pages écrites à la main, il y a en face de chaque plat un petit « no » rajouté au bic. Le seul article disponible : une bière nationale, la Mayabe. Le temps s’est arrêté.
Kilomètre après kilomètre, on a le sentiment bizarre de parcourir un lieu fantôme, l’ombre de ce que ça a pu être, qui survit malgré tout à bout de bras pour un public qui ne vient plus.
Ce n’est qu’un peu plus loin qu’on trouve une trace d’activité, en s’approchant du parc d’attractions : le seul endroit de Cuba (avec Varadero je crois) où il y a des montagnes russes et des manèges de grande taille. Là, on croise des bulldozers, qui s’activent bizarrement en plein dimanche après-midi. En face, sur un terrain vague, des troupeaux d’animaux fantastiques en plastique -dinosaures bleu clair, nounours roses de deux mètres- voisinent avec des bétonnières.
Impossible de rentrer dans le parc, il est fermé au public. « Jusqu’à la fin de la rénovation » nous explique le gardien. « Le 13 août, vous pourrez rentrer, gratuitement en plus ».
Le 13 août, c’est l’anniversaire de Fidel Castro, le jour de ses 80 ans. On se demandait ce qui se préparait pour l’anniversaire, dont les médias ne parlent pas ici : voilà, ils rénovent le parc d’attractions de la capitale. Le top, ça serait qu’ils pensent aussi aux bus pour pouvoir s’y rendre.
27 juin 2006
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1 commentaire:
Quelle tristesse ! Ca me rappelle mes promenades sur le "malecon" de Santiago, quand mon époux me raconte tristement : "tu sais, quand on était petit, on venait ici avec mon père, il nous achetait à manger et à boire dans les petites boutiques du bord de mer, ensuite on louait une petite barque pour naviguer dans la baie... tu vois, là !" Et là, je vois : des restes de construction de béton crachant leurs ferrailles, des tas d'immondices, trois ou quatre flics qui s'emmerdent et pas une gargotte à l'horizon...
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