C’était une heure tout-à-fait inhabituelle pour une intervention de Fidel Castro. Normalement, quand il décide de parler, il apparaît à 18h, sur trois des quatre chaines nationales. C’est mécanique, un de ces "rituels révolutionnaires" bien établis.
Pourtant, ce soir, la présentatrice du journal annonce une intervention de Fidel Castro après les informations, à 21 heures.
Ce changement minuscule a alerté tout le monde. J’étais dans un bar quand Carlos Valenciaga est apparu sur le petit écran à l’heure dite. Ce n’est donc pas Fidel en personne, comme annoncé, c’est son secrétaire personnel qui prend la parole.
En un instant, tous les serveurs du café se sont rapprochés du poste de télévision, magnétiquement, tandis que les touristes insouciants continuaient de siroter leurs mojitos, comme si ce garçon joufflu à l’écran faisait partie du folklore habituel, derrière ses grosses lunettes.
Mais non, rien n’est habituel cette fois. Au fur et à mesure de la lecture, les Cubains se transforment en statues de sel. Pas d’échanges de regards, pas de commentaires, rien qui puisse traduire-trahir une émotion. On ne sait pas ce qui se passe, mais ce qui se dit là, ce soir, est inédit en 47 ans.
A la télévision, Valenciaga lit le message signé de Fidel Castro. Il y annonce, pour la première fois depuis 1959, qu’il délègue ses pouvoirs à Raul, son frère, «provisoirement».
Il dit qu’il a dû être opéré d’urgence, qu’il a besoin de plusieurs semaines de repos.
Il parle du budget de la révolution énergétique qu’il faudra maintenir, il parle de son anniversaire, le 13 aout, repoussé au mois de décembre, il dit avoir confiance dans le peuple cubain pour lutter jusqu’à la dernière goutte de sang, afin que l’impérialisme yanki ne s’empare jamais de Cuba.
Des phrases lyriques, qui sonnent comme un testament politique. Il les a souvent prononcées, mais de vive voix. Qu’un autre les lise pour lui, dans ces circonstances-là, cela prend un sens nouveau.
Il y a deux ans, Fidel Castro avait fait une grave chute à la fin d’un discours. Son premier souci, avant même de se reposer, avait été d’apparaître à la télévision, quelques minutes après sa chute, transpirant, pâle, traversé par la douleur de son genou réduit en miettes, pour dire qu’il était entier et qu’il gardait le contrôle de la situation. On l’avait vu affaibli, mais on l’avait vu.
Cette fois, non, il n’apparaît pas ; juste sa signature au bas de la troisième page du message, filmée en gros plan fixe, comme une preuve qui se veut irréfutable que ce lundi 31 juillet, à 6h22 PM, il était bien vivant et lucide. Après…
Dans l’heure qui a suivi, les médias ont relu le message à plusieurs reprises, puis les programmes habituels ont pris la relève. Plus un mot sur le sujet, peut-être a-t-on même rêvé ce que l’on a entendu.
Dans les rues de La Havane, en tout cas, pas un chat, très peu de policiers, le désert habituel d’un lundi soir. Mais est-ce que ce message a même existé ?
Ceux qui ont des antennes satellites clandestines —et ils sont nombreux à La Havane— peuvent voir des reportages d’euphorie tournés à Miami, la foule dans les rues, les Cubains exilés se réjouissant déjà de la mort de Castro. Pour eux, ça y est, c'est la fin. Certains parlent même de prendre des bateaux et de venir chercher la famille dans l’île, en débarquant sur le Malecon.
Mais à La Havane, rien, le calme plat. Tout le monde est chez soi, sûrement sonné, dans l'attente de voir qui apparaitra demain aux informations télévisées de la mi-journée.
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