L’autre jour, j’ai accompagné un voisin rendre visite à son fils parti à l’école aux champs. L’école aux champs, c’est une spécificité cubaine, apparue avec la révolution, à laquelle personne n’échappe : tous les lycéens en filières techniques sont envoyés chaque année deux ou trois semaines dans des campements perdus au milieu de la campagne pour y travailler avec les coopératives agricoles locales (les lycéens des filières généralistes, eux, n’ont pas besoin d’être envoyés aux champs : ils y sont déjà ! Les internats obligatoires par lesquels il faut passer pour pouvoir ensuite entrer à l’université sont éparpillés dans chaque province, et partagent les journées des lycéens entre travaux agricoles et études).
Bref, cette fois-ci, le gamin et sa classe de comptabilité devaient ramasser des pommes de terre. L’idée, c’est de familiariser les petits citadins aux joies de la campagne, et accessoirement de fournir de la main d’œuvre pour les récoltes.
Je ne suis pas sûre de l'efficacité de cette main d’œuvre, et de l’importance de sa participation à l’effort national, même si chaque élève doit accomplir des normes quotidiennes assez élevées —mais comment dire, on ne s’improvise pas travailleur agricole comme ça.
Pour les adolescents, c’est comme une colonie de vacances, aux conditions rudimentaires. La nourriture est misérable, les dortoirs remplis de moustiques, les douches repoussantes, l’eau à moitié potable, les surveillants quasi-inexistants… pourtant, les gamins adorent (les parents moins).
Le week-end, les familles se débrouillent comme elles peuvent pour aller rendre visite aux mômes et leur amener à manger, et du linge propre pour la semaine. Parfois un bus préhistorique est affrété par l’école, sinon il faut trouver une voiture pour s’y rendre.
Mais l’école ne donne jamais d’indications bien précises sur le lieu des campements, à peine un nom, et le nom du village le plus proche.
L’an dernier déjà, nous nous étions à moitié perdus dans la province havanaise, à une heure de la capitale. Cette année, re-belote, mais dans la direction opposée.
Les habitants du village étaient incapables de nous préciser où se trouvait le campement, on a erré quelques temps sur des chemins de terre rouge, ponctués ici et là par des édifices de béton de quatre étages aux longues persiennes métalliques : les fameux PRE, les internats des lycéens généralistes, qui se répètent à l’identique tout au long de l’île, jetés comme des légos dans la campagne.
Le campement du fils de mon voisin était bien plus modeste : quelques bâtiments de torchis de plain-pied, sans étage, entourés d’un petit mur. Il y avait le dortoir des garçons, le dortoir des filles, le bâtiment des douches, et le réfectoire. A côté, les locaux de l’infimerie et de l’administration.
Sur les murs peints à la chaux, quelques citations de José Marti, un portrait des Cinq, un drapeau, et quelques palmiers qui donnaient un peu d’ombre.
Nous sommes allés au village voisin pour manger une pizza, dans un kiosque de cuentapropista : comme souvent, sur le pas de la porte d’une maison ordinaire, des grilles s’élevaient d’une colonne à l’autre, une liste détaillait l’offre (croquettes, pain avec des croquettes, pizza avec du fromage, pizza avec du jambon), et les pizzas à la pâte molle et épaisse vaguement recouverte de concentré de tomates coûtaient plus cher qu’à La Havane (10 pesos avec du fromage).
Il y avait du monde, c’était sans doute le seul kiosque ouvert le dimanche, au bout de vingt minutes, la femme nous a tendu nos pizzas repliées à travers le grillage, de la main à la main.
Il n’y avait évidemment pas de couverts, pas d’assiettes, pas d'auvent, pas d’endroit où s’asseoir (mettre des bancs devant le kiosque, ça serait changer de catégorie, pour les propriétaires, et donc payer plus d’impôts)… on a avalé nos pizzas à coups de dents debout sous le soleil de midi, au milieu des chiens qui traînaient autour à la recherche de miettes à avaler, entre le caniveau et le grillage. Miam.
Puis on raccompagné le gamin à son campement et à ses patates. Une amie plus âgée m’a raconté qu’elle avait gardé un joli souvenir de son école aux champs, au début des années 80. Les filles de sa classe était tombée sur la récolte de fleurs, tandis que les garçons étaient chargés de la cueillette des fraises. Ca avait donné lieu à d’innombrables échanges, je te donne une fleur, tu me donnes une fraise, au grand dam des agriculteurs qui voyaient fondre leur récolte.
23 mai 2006
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