25 mai 2006

décalage

Qu’est-ce qu’il y a ce soir à la télé ? Ben, programme unique : sur les quatre chaînes nationales, ainsi qu’à la radio, intervention spéciale de Fidel Castro avec des invités.
De quoi vont-ils discuter ? L’annonce de Granma est énigmatique : «L’objectif est de démanteler la perfide manœuvre impérialiste et de ses complices et laquais, qui sont tombés dans leur propre piège du point de vue moral et se trouvent dans une impasse»…
Il ne faut pas croire : il n’est pas si fréquent que les quatre chaînes soient réquisitionnées dans ces retransmissions. Normalement, deux d’entre elles proposent leur programme habituel, laissant un choix au téléspectateur. Aujourd’hui, non.
Le sujet doit être d’importance, pour couvrir ainsi tous les médias. Parleront-ils des pluies violentes qui cette nuit ont tué au moins trois personnes à La Havane? Examineront-ils les dysfonctionnements des secours en cas de catastrophes naturelles, rendus patents hier soir ? Sera-t-il question de l’état des infrastructures, visiblement insuffisant ? Un sujet d’importance nationale, à l’orée d’une saison cyclonique qui s’annonce intense.
A 17 h, l’émission spéciale commence : en quelques minutes, le décor est planté. Les invités sont les mêmes que lundi dernier, le sujet aussi : démentir la revue Forbes et défendre la probité du président cubain.
A Cuba, tout le monde se moque de cette histoire, personne ne s’intéresse à la supposée fortune de Fidel Castro ; à l’étranger, après le démenti de la semaine dernière, il est peu probable que l’on en parle à nouveau.
Pourtant, seules trente secondes seront consacrées à évoquer le drame de la nuit, et sept heures à répondre à Forbes et consort.
Une telle obsession laisse sans voix, dans ce contexte dramatique pour de nombreux habitants de la capitale qui ont tout perdu cette nuit, dont certains la vie. Le journal de la mi-journée n’avait pas non plus évoqué les pertes humaines, ni les dégâts dans de nombreux quartiers de la ville. Le journal de la nuit n'en dira rien non plus.
D’habitude, les médias cubains couvrent exhaustivement les catastrophes naturelles et les évacuations nombreuses qui les accompagnent. Le silence d’aujourd’hui en est d’autant plus choquant. C'est comme s'il ne s'était rien passé hier soir à La Havane, comme s'il n'y avait pas eu de victimes —ou si peu que ça ne vaut pas la peine de s'attarder.
Je parlais ce matin avec un vieil homme du quartier de Centro Habana dont le voisin était mort dans la nuit, dans son appartement du rez de chaussée envahi par l'eau jusqu’au plafond. Il disait se sentir abandonné par les autorités, les pompiers n’étaient pas intervenus dans sa rue transformée en fleuve avec près de deux mètres d’eau, et aucun responsable n'était venu les voir depuis.
Je ne sais pas si ce vieil homme a suivi avec toute l'attention requise l'intervention spéciale de son président ce soir.

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