28 mars 2007

détails

Ca semble des détails insignifiants, et il est difficile de faire comprendre à l’extérieur la portée que ça peut avoir.
Essayons pourtant : imaginez un instant que vous n’ayez pour toute source d’information que deux quotidiens de petit format, de quatre feuilles chacun, disons le journal de l’Elysée, et le journal de Matignon ;
imaginez qu’il n’y ait que quatre chaînes de télévision publique, servant de porte-parole du gouvernement, et sans liberté éditoriale.
Imaginez que votre univers médiatique soit réduit à cela, à l’exclusion de toute autre source d’information non gouvernementale.
Et dans cet espace médiatique réduit, soudain, une journaliste du journal télévisé (le même sur toutes les chaînes) vous annonce avec aplomb que «de toute façon, dans notre pays, tout le monde sait bien que personne ne vit de son salaire».
La surprise vient de ce que c’est en partie vrai, mais ce n’est pas ce que nous montrent d’habitude les médias cubains. C’est une vérité tacite, un secret de polichinelle embarrassant, un fait têtu qui ne se plie pas aux discours.
C’est comme si soudain, les médias cubains se mettaient à refléter la réalité quotidienne, non pas seulement ses succès, mais aussi ses échecs. Comme une reconnaissance publique, ôter le masque.
Et le lendemain, cette même télévision passe en prime time Suite Habana, un long documentaire silencieux de Fernando Perez, qui suit les vies difficiles d’une dizaine d’habitants de la capitale, entre résignations et espérances.
Largement primé à l’étranger, plébiscité lors de son court passage au ciné il y a quatre ans, ce film faisait partie d’une liste d’une trentaine de productions cubaines récentes que la télévision nationale n’a jamais diffusées.
Difficile de savoir ce que signifient ces détails. Mais il y a comme un soulagement à voir la réalité et sa représentation médiatique coïncider un peu.

27 mars 2007

vents de carême

Depuis plusieurs jours déjà, il fait une chaleur écrasante, un soleil implacable le jour, et la nuit tombée, la ville est balayée sans répit de vents tourmentés. Les Cubains les appellent "los vientos de cuaresma", les vents de carême, qui viennent du sud et qui rendent fous. Leonardo Padura a intitulé comme ça l’une des quatre saisons de son flic Mario Conde.
Mais les Cubains ne sont pas fous, ils souffrent tous de Nazaré, un méchant virus.
Nazaré ? C’était le nom d’un des personnages de la télénovela brésilienne qui vient de se terminer : une femme méchante, méchante, ouh lala, comme elle était méchante.
Du coup, c’est devenu un nom commun, un cliché, les Cubains l’utilisent pour tout ce qui est mauvais : cette grippe qui ne guérit pas, une femme infidèle, une mauvaise personne…

02 mars 2007

complexés ?

Les journalistes cubains manqueraient-ils de confiance en eux ?
Un ami m’a raconté cette scène surréaliste dans le JT du soir il y a quelques jours : le présentateur vedette conclut le lancement d'un sujet par ces mots : « … et ce que je viens de vous dire, n’allez pas croire que c'est moi qui l'ai inventé : c’est le Washington Post qui le dit » ("y no piensen que son mentiras mías : lo dice el Washington Post !").
Que les médias officiels cubains se sentent obligés d'appuyer leur crédibilité sur les journaux de l’ennemi, critiqué à longueur de bulletins, voilà qui est paradoxal, non?
Ca me fait penser au festival de rediffusions étrangères auquel nous avons eu droit mercredi, au lendemain de la conversation téléphonique entre Fidel Castro et Hugo Chavez : la nouvelle du jour, ce n'était pas la conversation, c'était "la répercussion dans les médias internationaux de la conversation historique entre les deux présidents". A suivi pendant dix minutes une retransmission ininterrompue de reportages édités de CNN, TVE, de captures d'écran des agences de presse, etc.
Si ce qui est crédible, ce qui donne du poids, c'est ce qui se dit à l'étranger, pourquoi avoir renvoyé trois journalistes étrangers la semaine dernière?