27 juin 2006

excursion au Parque Lenin

C’est un grand espace vert, à une vingtaine de kilomètres de la capitale. On y trouve des chevaux, des collines, des bosquets, un lac artificiel, un aquarium avec trois crocodiles qui somnolent la gueule ouverte, un monument qui représente une gigantesque tête de Lénine d’un blanc de neige, tout ça éparpillé sur des kilomètres de campagne.
J’y suis allée avec des amis cubains qui pour la plupart n’y avaient pas remis les pieds depuis une quinzaine d’années. Avant (c’est-à-dire avant 1989), il y avait des transports en commun, des bus, des voitures… bref, il était assez simple d’aller au parc Lénine.
Mais depuis, c’est une autre histoire: l’endroit est trop excentré, les bus trop aléatoires, plus personne ne vient jusqu’ici.
Tandis qu’on longe les prairies de l’entrée, un ami me raconte que dans sa jeunesse, on lui parlait sans arrêt des délinquants et des dissidents qui se cachaient ici. Il raconte l'histoire de l’écrivain Reynaldo Arenas qui fut arrêté au pied d’un arbre, près de là où nous passons, plongé dans L’Iliade d’Homère. Il était tellement absorbé par sa lecture qu’il n’avait pas vu s’approcher les policiers à sa recherche depuis plusieurs semaines.
Sur notre gauche, on dépasse la Maison du thé, où un ami désoeuvré venait boire toute la journée au pied des bustes de poètes russes, pendant les longues journées vides du periodo especial. Elle a été démantelée : ne restent que les structures du toit, démonté, et quelques pans de murs.
Un peu plus loin, c’est l’amphithéâtre qui réserve de mauvaises surprises. L’idée était belle : un amphithéâtre à flanc de colline, les sièges scupltés dans la pierre, et une scène flottante au milieu d’un petit lac. « Ici c’était bondé, il y avait des spectacles fabuleux », se souviennent-ils en chœur.
Juste un souvenir : les sièges de pierre sont envahis d’herbes, toutes les structures métalliques ont été démantelées, le lac est plein de vase et la scène s’est à moitié détachée, flottant au bout du lac.
Une amie se désole: « Tu penses qu’un jour tout ça pourra être récupéré ? »
Tout est désert, là où auparavant il y avait foule. Ils me racontent tout ce qu’on pouvait trouver ici, des bonbons qu’on ne trouvait pas en ville, des glaces, des trésors d’enfants.
Dans l’aquarium, un long couloir encore bordé par ses vitraux multicolores, ponctué de bassins avec des poissons qui ne voient plus grand-monde, mais n’ont pas l’air de s’en porter plus mal, on croise quatre tortues et trois crocodiles, et un employé, presqu’incongru, qui nettoie un grand bassin vide.
Plus loin, on prend le chemin d’un restaurant qui fut magnifique. On n’y trouve que cinq tables —dont quatre sont vides— là où trente pourraient tenir facilement. Deux serveurs s’ennuient au comptoir, ils écoutent la radio poussée à fond qui retransmet le match de foot Italie/ Portugal. Sur le menu, deux pages écrites à la main, il y a en face de chaque plat un petit « no » rajouté au bic. Le seul article disponible : une bière nationale, la Mayabe. Le temps s’est arrêté.
Kilomètre après kilomètre, on a le sentiment bizarre de parcourir un lieu fantôme, l’ombre de ce que ça a pu être, qui survit malgré tout à bout de bras pour un public qui ne vient plus.
Ce n’est qu’un peu plus loin qu’on trouve une trace d’activité, en s’approchant du parc d’attractions : le seul endroit de Cuba (avec Varadero je crois) où il y a des montagnes russes et des manèges de grande taille. Là, on croise des bulldozers, qui s’activent bizarrement en plein dimanche après-midi. En face, sur un terrain vague, des troupeaux d’animaux fantastiques en plastique -dinosaures bleu clair, nounours roses de deux mètres- voisinent avec des bétonnières.
Impossible de rentrer dans le parc, il est fermé au public. « Jusqu’à la fin de la rénovation » nous explique le gardien. « Le 13 août, vous pourrez rentrer, gratuitement en plus ».
Le 13 août, c’est l’anniversaire de Fidel Castro, le jour de ses 80 ans. On se demandait ce qui se préparait pour l’anniversaire, dont les médias ne parlent pas ici : voilà, ils rénovent le parc d’attractions de la capitale. Le top, ça serait qu’ils pensent aussi aux bus pour pouvoir s’y rendre.

20 juin 2006

les mickies

D’habitude, le Riviera est un ciné tranquille, à la façade bleu pâle ornée d’une typo très années 50. Il est au cœur du Vedado, sur la rue 23. La programmation y est assez paresseuse : il ne change pas de film tous les jours comme le Chaplin, il n’a pas cinq séances quotidiennes, comme le Yara. C’est juste un ciné tranquille.
Mais l’autre soir, il s’est métamorphosé : un ami m’avait dit de passer vers minuit, après la séance du soir, il organisait une fête là-bas. « Tu veux dire, dans le ciné? » C’est ça, dans le ciné, à l’intérieur.
Un peu incrédule, j’y suis allée au milieu de la nuit, et je suis tombée sur une véritable rave party. Les marches, devant l’entrée, étaient encombrées de jeunes en sueur sortis prendre l’air. Une fois les portes franchies, la salle était un sauna aux accords techno.
Sur la petite scène devant l’écran, une foule de filles et de garçons dansaient torses nus, baignés par la chaleur et hypnotisés par le rythme. Dans un coin de la scène, les DJ, avec de vraies platines de 33 tours —une rareté ici— faisaient des mix. Et éparpillés dans les rangées de fauteuils, de petits groupes reprenaient leur souffle face à la scène.
En tout, il y avait là plusieurs centaines de personnes, surtout des garçons, jeunes voire très jeunes, des mickies comme on appelle ici les enfants de bonne famille « con dinerito » (à ne pas confondre avec les frikies, les fans de hard rock, cheveux longs et piercing, qui il y a quelques années envahissaient le soir le carrefour voisin de G y 23, avant d’être virés par la police).
Le plus étonnant de l’histoire, c’est qu’il s’organise assez souvent des soirées techno sauvages, plus ou moins illégales, ou en tout cas déguisées. Mais elles sont généralement éloignées de la ville, dans des coins tranquilles ou abandonnés.
Cette fois, on ne pouvait pas trouver plus central, plus évident. Mais ça a marché : il y avait de nombreux flics tout autour du ciné, comme chaque week end, mais pas un n’a pas pensé que cette fête énorme organisée sous leurs yeux pouvait ne pas être tout à fait autorisée.

image subliminale

C’était un reportage sur l’escorte personnelle de Fidel Castro. A l’occasion des 45 ans du Ministère de l’intérieur (le Minint, de son petit nom), le journal télévisé diffuse depuis quelques semaines des hommages aux gardes-côtes, aux policiers, aux espions infiltrés… bref, à tous ceux qui ont à voir d’une façon ou d’une autre avec le Minint.
Aujourd’hui, c’était donc sur les gardes du corps du Comandante. Images d’archives, interviews, commentaire lyrique comme un poème, et musique classique pour enrober le tout.
Le seul dirigeant présent et reconnaissable, sur toutes les images, était Fidel. Normal, il s’agissait de ses gardes du corps à lui.
Sauf que la dernière image justement, celle qui fermait le reportage, montrait Raul Castro descendant de voiture. Totalement hors contexte, sans gardes du corps autour de lui, sans allusion à lui dans le commentaire, sans son frère dans les parages : juste lui, à peine quelques secondes, comme une image subliminale, qui clôt le reportage. Evidemment, le hasard n’a rien à faire là-dedans, et ces quelques secondes inopinées en disent long sur les changements de perspective depuis trois mois.
Raul Castro apparaît de plus en plus dans les médias, comme une image subliminale, comme un message codé —sans paroles. On le voit en photo, un fusil en joue, on le voit passant ses troupes en revue, on le voit descendant de sa voiture, mais on l’entend rarement. Souvent, il délègue même sa parole.
La semaine dernière, il a pourtant fait un court discours, avertissant les Etats-Unis de l’invulnérabilité militaire de Cuba. En passant, il a évoqué la succession de son ainé (car c’est bien de ça qu’il s’agit) : personne ne pourra le remplacer, a affirmé l’héritier désigné, c’est le Parti dans son ensemble qui sera le digne successeur de Fidel Castro.
Quelqu’un disait qu’à Cuba, il faut savoir interpréter les paroles, mais aussi les silences. N’empêche : parfois, le message est vraiment opaque.

19 juin 2006

breaking news

Un petit conseil : si vous voulez réussir votre entrée dans la société cubaine, n’oubliez pas la Fête des pères (c’est aujourd’hui), ni la Fête des mères (le deuxième dimanche de mai), ni le Jour de la femme (le 8 mars), ni le Jour international des infirmières (le 12 mai) — mais là c’est déjà plus spécialisé.
Pour les trois premiers, la méthode à suivre est simple : décrocher son téléphone dès le lever du soleil ou à défaut le plus tôt possible, et passer des coups de fil de «Felicidades» à toutes les personnes que vous connaissez qui rentrent dans la catégorie du jour.
Petit plus : pour la Fête des mères, on trouve généralement en vente plusieurs semaines à l’avance dans tous les endroits imaginables des cartes postales souples, généralement des photos de fleurs variées, que l’on envoie ou que l’on donne le jour venu.
Evidemment, souvent les cartes se ressemblent, le choix oscille chaque année entre quatre et sept photos différentes, mais comme on dit, c'est le geste qui compte.
Ne pas le faire peut froisser quelques susceptibilités. On vous pardonnera si vous êtes un étranger —tout en vous demandant quand même avec un ton contrarié si ça ne se fête pas dans votre pays.
Les Cubains eux n’oublient jamais. Difficile d’ailleurs, tous les médias en parlent, cela fait même la une du quotidien national Juventud Rebelde aujourd’hui, avec une photo d'un papa et de son fils, qui batifolent dans l'herbe. La une, rien de moins… c’est ce qu’on appelle une breaking news.

de petites pattes rayées

Ca y est, j’en ai vu un. Je pensais qu’on se moquait de moi quand on m’expliquait que l’Aedes Aegypti était un moustique reconnaissable à ses pattes rayées. Je pensais qu’il était impossible de remarquer les rayures des pattes d’un moustique.
Ici on en parle souvent, car l’Egyptien est le vecteur de la dengue.
Depuis quelques années, cette maladie a réapparu à Cuba, et les autorités font régulièrement des grandes campagnes de fumigation pour lutter contre sa multiplication.
Dans les rues, on croise souvent des bandes de jeunes garçons et filles, habillés d’uniformes de scout gris-vert, chemisette et shorts aux genoux, coiffés de drôles de chapeaux : ils sont chargés d’aller de maison en maison pour vérifier la situation du "vecteur".
De temps en temps, on voit alors des types chargés de fumigateurs qui rentrent chez les gens, ferment les fenêtres et d'épaisses fumées s’échappent alors des persiennes, accompagnées d’un bruit sourd particulièrement reconnaissable. C’est pour tuer les moustiques (parfois aussi, plus rarement, cela a d’autres usages).
Bref, tout ça pour dire que c’est finalement très reconnaissable, un Aedes Aegypti, même si pour ça il faut le voir de près, donc généralement après qu’il vous a piqué. Et oui.

10 juin 2006

soirées cinéma

Bienvenue à La Havane-sur-Seine : depuis une semaine, le Festival de cinéma français fait le plein dans les trois plus grandes salles de La Havane, le Chaplin, le Yara, et le Payret.
Chaque année, c’est la même chose : au printemps, les tout derniers films français débarquent à Cuba, accompagnés par leurs réalisateurs, acteurs, ou producteurs.
Mardi soir, on a vu Claude Brasseur sur la scène du Chaplin évoquer brièvement ses vacances d’enfance avec son parrain, Ernest Hemingway (ici, tout un mythe), avant de citer Jouvet, et de dire de sa voix rocailleuse que le public cubain avait du talent.
Jeudi, c’est Agnès Jaoui qui s'est gagnée toute la salle en parlant couramment un espagnol accidenté, tandis que la traductrice faisait de la figuration à ses côtés. Il y a eu aussi la réalisatrice de Tout pour plaire, Cécile Telerman, venue parler des femmes parisiennes et trentenaires, et dont le film a fait un véritable tabac ici.
En tout, vingt films parmi les plus récents passent sur les écrans havanais, avant d’aller vers l’Oriente de l’île, Guantanamo compris.
Et les salles se remplissent, full. A toutes les séances, on voit les files se former dehors —même devant le Payret, pourtant envahi de ventilateurs sur pied bruyants depuis que son air conditionné s’est cassé, il y a quelques jours.
Le prix d’entrée est dérisoire, un peso la séance, la moitié du prix habituel qui est déjà très bas. Une aubaine : tous les soirs, de Fauteuils d’orchestre au Promeneur du Champ de Mars, en passant par L’esquive, c’est comme un voyage en France, un voyage par procuration, dans les rues des villes, dans les expressions de la langue, que beaucoup apprennent ici.
Ca fait une dizaine d’années que ce festival existe, et comme dit Nouredine Essadi, l’un de ses organisateurs, au bout du compte, les assidus du festival connaissent maintenant plutôt bien la production actuelle française. Il faut dire que ça change des films américains que l’on voit souvent le reste de l’année en tête d’affiche.

06 juin 2006

anniversaire

Difficile d’être passé au travers : Raúl Castro, le frère de Fidel, a fêté samedi ses 75 ans. Pour l’occasion, Granma a publié en supplément un long texte de plusieurs pages tout à sa gloire, accompagné de photos de famille et de travail (il est ministre de l’armée depuis près d’un demi-siècle).
Le jour même, la télévision s’y est mise, diffusant un montage de photos de lui, avec des fondu-enchainés en forme d’étoile, sur un fond de musique douce.
Les présentateurs du journal télévisé y sont aussi allés de leurs félicitations, accompagnées de plusieurs reportages hagiographiques.
Bref, tout le monde a célébré cet anniversaire. Sauf que…
Sauf que c’est la première fois que ça arrive. Personne dans l’île n’a jamais su ni cherché à savoir quel jour était l’anniversaire de Raúl Castro, et ça n’a jamais été signalé dans les médias nationaux.
Quant à lui, il apparaît rarement, ne fait jamais de discours, ou très exceptionnellement, et cela fait plusieurs décennies que ça dure. Autant on est habitué à voir souvent son frère, autant lui, non.
Du coup, cela a donné lieu à un malentendu malvenu : plusieurs amis cubains m’ont raconté leur confusion quand samedi soir, après le premier film de la soirée, au moment où l’audience est la plus forte, les quatre chaînes se sont mises à diffuser, au même moment, le montage de photos, accompagné cette fois d’une chanson incroyablement kitsch, retraçant la trajectoire du successeur désigné.
« Raúl est mort …» : ce fut leur première réaction. Atterrés, ils ont regardé les images qui se succédaient, persuadés qu’il s’agissait d’une nécrologie. Ils ne pouvaient pas expliquer autrement cette soudaine médiatisation du cadet des Castro.
Ce n’est qu’à la fin des quelques minutes du montage qu’ils ont compris qu’il ne s’agissait que de son anniversaire. Mais c’était tellement inhabituel…
Plusieurs personnes différentes m’ont raconté cette expérience, perturbante pour eux, comme une répétition générale de ce qui finira par arriver un jour, logiquement, biologiquement, mais à quoi plus personne ne croit, parce que ça fait si longtemps…
« Les Cubains, ils en font ou trop, ou trop peu » —el cubano, o no llega, o se pasa : c’est un mambi venu de St-Domingue qui avait dit ça au siècle dernier. On pourrait dire la même chose des médias cubains actuels : leur traitement de l’actualité est déroutant, dans ses silences comme dans ses démesures.

04 juin 2006

quizz

Il est très difficile de faire comprendre à quelqu’un élevé «dans le capitalisme» ce que signifie l’étatisation totale de l’économie. Difficile aussi de faire comprendre ce qu’est un syndicat unique ou un parti unique, mais déjà d’un point de vue très quotidien, imaginer que l’Etat est l’employeur direct de 80% des travailleurs, que le petit commerce privé n’existe pas (comme ce fut le cas ici avant 1989, comme paraît-il nulle part ailleurs dans le monde communiste), ce n’est pas une chose aisée.
L’inverse est vrai aussi : je viens de m’en rendre compte en regardant un de ces jeux télévisés que l’on trouve le samedi sur la chaine des jeunes, Tele Rebelde.
La finale du mois, organisée dans l’école des cadres du syndicat unique à La Havane, opposaient deux équipes d’étudiants, de vingt à trente ans. Tous étaient vêtus de T-shirts arborant le drapeau cubain.
Le public était composé des camarades de classe des deux équipes, portant le même t-shirt orné du drapeau, et assis en deux groupes compacts, sur des chaises alignées sur trois rangs.
Après une courte interruption, où un courrier de lecteur exprimait son désir ardent de voir des questions porter sur les structures de l’Etat, la compétition reprend.
Les présentateurs, trois jeunes à la bonne humeur contagieuse, alignent les questions, la plupart portant sur la politique ou l’histoire.
« Question politique, pour gagner 30 points : organisation anti-impérialiste fondée par Julio Antonio Mella en 1924 ? »
« La section de la ligue anti-impérialiste des Amériques » répond Julio, sans hésiter.
« Correcto ! »
« Question politique, pour trente points aussi : action dans laquelle fut mortellement blessé le pionero Paquito Gonzalez ? »
« L’enterrement des cendres… euh, des cendres de Julio Antonio Mella, en 1930 » répond Ruth, un peu hésitante.
« Pas d’hésitation à avoir, Ruth, car c’est la bonne réponse ! »
« Question suivante : à nouveau une question politique, pour Oswaldo. Concentrez-vous : la solidarité entre les étudiants et les ouvriers, dans les années 20, a été développé par le dirigeant… ? »
« Julio Antonio Mella » répond Oswaldo sans l’ombre d’un doute.
Jusque là tout va bien, apparemment les étudiants connaissent sur le bout des doigts la vie du co-fondateur du parti communiste cubain, Julio Antonio Mella.
Mais soudain, c’est le drame :
« Question juridique, maintenant. C’est au tour d’Alexis, attention, il y a cinquante points en jeu : la loi Arteaga, de 1909, interdisait de payer les ouvriers avec des bons d’approvisionnement, rendant obligatoire le paiement en salaires. Mais cette loi était enfreinte par …? »
Alexis doute, il demande à consulter son public, c’est une possibilité offerte, même si l’on gagne moins de points. Rapide conciliabule d’une dizaine de secondes, puis il réapparait, rayonnant : « Nous pensons qu’il s’agit du gouvernement ».
« Nooon, répond le présentateur d’un air navré. Non, cette loi était enfreinte par les patrons, par les chefs d’entreprise… quel dommage, vous perdez 50 points ».
Je suis restée étonnée par cette réponse du futur syndicaliste. Mais c’est que pour ce garçon, né et élevé dans un système où Etat, gouvernement et employeur sont la même chose, il doit être très difficile de s’imaginer un monde de libre entreprise, décentralisé en quelque sorte. Pour lui, c'est inconcevable.
Heureusement comme le dit le slogan de l’émission, «ceux qui savent gagnent, et ceux qui ne savent pas gagnent aussi car ils apprennent !»
Et pour renforcer cet apprentissage, gagnants et perdants reçoivent chacun des livres en cadeau : pour les uns, « Dans la fournaise des années 90 », « Cuba au-delà des rêves », et « Amérique Latine, le réveil d’un continent » de Che Guevara ; pour les autres « Le blocus contre Cuba, le siège le plus long de l’histoire », « Cuba au-delà des rêves » à nouveau, et « Terrorisme d’Etat des Etats-Unis contre Cuba : le cas des Cinq ».
Je vous laisse deviner ce qui est pour les gagnants et ce qui est pour les perdants, pour ma part j’ai oublié.

01 juin 2006

evtouchenko

Il est entré en coup de vent dans la salle. Nous étions une quarantaine peut-être, à essayer de regarder son film Les funérailles de Staline, sur un écran tendu au mur.
La pièce, dans le patio de l’Union des Ecrivains, sert normalement à des rencontres, pas à des projections. La lumière qui rentrait par les fenêtres rendait l’image plus que pâle, presqu’invisible, il fallait deviner les formes, les visages, s’épuiser à fouiller le gris flou de l’image, mais on en avait pris notre parti. Pas lui.
Evgueni Evtouchenko, grand personnage de la poésie russe des années soixante, est de visite en ce moment à La Havane, pour un festival de poésie. Du coup, certains de ses films sont projetés, en son honneur — entre autres le mythique Soy Cuba, dont il avait écrit le scénario au début des années 60.
L’homme est grand, mince, charismatique, il parle espagnol comme un Cubain, et raconte volontiers sa vie avec beaucoup de soltura, du haut de ses 70 ans.
Mais hier, quand il a vu le massacre de cette projection, il s’est énervé, s’est planté devant le projecteur, a attrapé l’organisateur de l’Union des écrivains et lui a dit que c’était impossible de voir un film dans ces conditions-là, et qu’il fallait chercher une solution de rechange.
Le fonctionnaire a acquiescé, bien sûr, penaud, même si pour lui, ces conditions n’avaient rien de si terribles, après tout. Mais comment défendre ça, face à la colère de Evtouchenko…
Une voisine du public a souri de cette colère et de cette exigence : « On voit qu’il ne vit pas ici » a-t-elle remarqué à voix basse. Et c’est vrai que souvent, ici, on se contente du pire, même si cela confine à l’absurde. L’exigence n’existe pas.
Comme nous étions tous réunis pour ce film interrompu, il en a profité pour organiser une discussion avec nous. Il a raconté par exemple cette anecdote si jolie: au début des années 80, il voulait un acteur de langue allemande pour son premier film, Jardin d’enfants, réalisé en URSS. Il pensait à Klaus Maria Brandauer, même si l’acteur autrichien était déjà très connu, et bien trop cher pour son budget.
Il l’a quand même contacté. Brandauer lui aurait alors répondu : « Tu sais, quand j’étais jeune, un jour, je me promenais dans les rues de Vienne, avec à la main un livre de tes poèmes. En face de moi est arrivée une jeune fille, qui avait aussi à la main un recueil de tes poésies, le même livre que moi. Partant de là, nous avons fait connaissance, nous avons discuté. Et maintenant, vingt ans plus tard, nous sommes mariés, nous avons trois enfants… alors, tu penses bien que, quelques soient les conditions, je vais le faire, ton film ! »
Je ne sais pas s’il faut croire tout ce que raconte un poète, mais c’est une jolie histoire quand même.

à la schnou

C’était un chat qui ne savait pas miauler, elle faisait des cris rauques qui ressemblaient plus à ceux d’un crapaud. Mais par contre, elle ronronnait beaucoup. En ça, elle faisait honneur à son nom.
Mais bon, les chats, ça ne vit pas éternellement, on le sait… n’empêche.
Plus que sa compagnie, qui va terriblement me manquer, c’est ce qu'elle représentait qui laisse un vide, sa présence au long des années était comme un fil qui traverse le temps, qui unissait tout ça, qui faisait que le passé n'était pas tout à fait passé… jusqu’à ce qu'elle meure.
Un peu comme la fin d'une époque, une image du temps qui part.