24 février 2006

cinquante-treizième anniversaire de…

Lu dans Granma ce matin : la une nous informe de la tenue ce soir, sur la Tribune anti-impérialiste, d’une cérémonie pour célébrer «le 111e anniversaire du début de la guerre nécessaire organisée par Martí» (c’est-à-dire le début de la seconde guerre d’indépendance). Plus loin, un autre article sur la constitution de 1976 commence par ses termes : «Au moment où les Cubains célébraient le 81e anniversaire du début de la guerre nécessaire lancée par José Marti, venait l’heure de proclamer la première constitution socialiste».
Un aspect assez frappant de la vie quotidienne, ici, c’est la folie des commémorations officielles: chaque jour ou presque renvoie à un haut fait, une date décisive, l’anniversaire de naissance ou de mort de tel héros. Le présent vécu comme une célébration permanente du passé, ce qui peut devenir parfois un rien pesant.
Ce qui est surprenant pour un étranger, c’est que ces célébrations, donc, ne correspondent pas à des chiffres ronds, 10, 35 ou 100 ans. Non, ici on fête le 31e anniversaire de je ne sais quel événement, le 87e de la mort de je ne sais quel patriote, etc.
Le même calendrier revient chaque année, accompagné des mêmes rituels : indéfiniment, le 28 septembre est le jour de la création des CDR, et l’on fait bouillir une caldosa sur le trottoir avec les voisins à la nuit tombée; chaque 28 octobre, les enfants des écoles vont au bord de la mer ou d’un fleuve, et y jettent des fleurs pour commémorer la mort de Camilo Cienfuegos, en 1959; chaque année les médias officiels voient dans le 10 octobre le jour où Céspedes a sonné les cloches dans son domaine, en 1868, marquant le signal de la première guerre d’indépendance; chaque 11 janvier, on revient longuement sur la «disparition physique» de Celia Sanchez, une révolutionnaire morte après une longue maladie en 1980…
Il y en a qui vivent de ces commémorations. Je me souviens de ce dialogue entre un fleuriste de rue et un vendeur de jus de fruits: « —Demain, c’est la fête de Maceo [patriote du XIXe siècle]» «— Mouais, tu sais, pour nous les fleuristes, ça n’apporte pas de travail ; c’est pas comme pour Camilo [Cienfuegos] : là oui, on vend plus » « —Ah oui, Maceo, c’est pas pareil… ».
Pour ceux que ça intéresse, il y a sur le site du PC cubain les éphémérides officielles que l’on retrouve dans la presse nationale jour après jour, comme des marroniers locaux.

23 février 2006

"hay" y "no hay"

Normalement, dans la plupart des pays du monde, c'est une alternative : «hay» o «no hay», «il y a» OU BIEN «il n’y a pas», telle chose existe OU n'existe pas. A Cuba, ces deux états ne sont pas contradictoires, mais complémentaires.
Vous allez dans une cafétéria ou un restaurant, vous regardez la carte, bien fournie, longue de plusieurs pages. «Hay». Il y a. Mais, en même temps, il n’y a pas, «no hay». No hay tal cosa, tal comida, tal bebida, esa tampoco, esa no… Il y a, certes, mais il n’y a pas.
Dans un village perdu de l’Oriente, en plus de la salle de vidéo il y a une autre salle de projection, inaugurée lors d’un festival de cinéma local. Deux salles pour voir des films, dans un petit village, c’est une belle chose, assurément. «Hay». On vous l’annonce, on vous le vante. Ce n’est qu’après qu’on vous précise éventuellement que bon, cette deuxième salle est tombée en panne peu après son ouverture, il y a deux ans, et n’a jamais été réparée : «no hay». Les deux concepts coexistent, sans encombres. Il y a ET il n’y a pas, en même temps.
Ce paradoxe s’étend : à Cuba, il y a plus de 60 000 médecins ; en relation avec la population, cela fait plus de médecins par habitant qu’aux Etats-Unis, répètent les médias cubains. «Hay». Mais en même temps, plus de 20 000 de ces médecins ont été envoyés en mission à l’étranger, soit un tiers de la profession : une absence qui se ressent fortement dans les dispensaires locaux, et qui se traduit pour la population en un «no hay» abrupt.
La liste est longue des exemples de ce paradoxe apparent pour les étrangers : pour les Cubains, c’est simplement une question d’habitude, une variante subtile de la réalité.

10 février 2006

pay pal

On a beaucoup parlé de ces délégués cubains qui ont été expulsés de l'hôtel Sheraton de Mexico DF il y a une dizaine de jours, conformément aux recommandations du Trésor américain : pour ne pas être accusé de violer l'embargo américain contre Cuba, l'hôtel -situé donc au Mexique- a prié ces Cubains de quitter les lieux.
J'ai découvert au même moment une autre incarnation plutôt sophistiquée de l'embargo : il est impossible depuis Cuba d'utiliser le système de paiement on-line "pay pal".
Même en donnant des coordonnées hors de Cuba, même avec une carte de crédit qui n'a rien à voir avec l'île, impossible : un message apparait expliquant que d'après les règlementations de l'OFAC, la demande provient d'un pays soumis à un embargo, et par conséquent le service est inutilisable. Apparemment, ils repèrent le fournisseur d'accès, cubain, et voilà, pas de discussion.
Au même moment, je lis cette histoire absolument glaçante du google chinois, et je regarde internet d'un autre oeil.
Remarquez, ici c'est plus simple : plutôt que de filtrer la navigation (un peu), c'est l'accès lui-même qui est filtré, et drastiquement : seuls deux fournisseurs d'accès, des connexions modem qui atteignent royalement les 5 Ko/s en descente, des prix exhorbitants, mais surtout, surtout, une autorisation préalable obligatoire du centre de travail.
N'a pas internet qui veut. Un journaliste indépendant est d'ailleurs en train de faire une grève de la faim dans le centre de l'île pour réclamer justement l'accès à internet, reprenant à son compte une affirmation imprudente du représentant cubain au sommet de l'information de Tunis, disant que dans l'île tout le monde pouvait avoir accès à la toile.
Un dernier détail : je viens de découvrir avec surprise que les grands hôtels de La Havane, comme le Cohiba ou le Panorama, proposent à leurs hôtes de surfer wi fi dans leurs lobbys. Ca coûte comme la connexion normale, huit dollars de l'heure, mais il parait que c'est bien plus rapide. Ici, c'est une grande nouveauté.

07 février 2006

gastronomie

Un ami découragé : « Fidel a une vision très limitée des besoins des Cubains. En mars dernier, quand il a annoncé la distribution des auto-cuiseurs pour toutes les familles, il s’est exclamé que maintenant les Cubains allaient pouvoir manger de plus en plus de haricots [certes un des composants de base de la cuisine cubaine].
Le lendemain, conscient qu’il était allé un peu loin, il s’est lancé dans l’éloge de la variété : il y a toutes sortes de haricots, il y a des haricots blancs, des haricots rouges, des haricots noirs… »

04 février 2006

un bus, deux bus, mille bus

Plus que les centaines de milliers de personnes, plus que les petits drapeaux en papier répartis pour l’occasion, plus que les T-Shirts rouges distribués pour le premier mai, une des caractéristiques —hors champ— des grandes marchas ou autres rassemblements organisés par les autorités cubaines, ce sont les guaguas, les autobus.
Il y en a des centaines, des milliers, de toutes sortes, venus de partout, qui s’embouchonnent selon un ordre plus ou moins précis dans le quartier qui entoure le lieu du rassemblement : soit le haut, soit le bas du Vedado, suivant qu’il s’agisse de marcher sur le Malecon ou de se poser sur la place de la révolution.
Il y a les bus blancs et bleus, ceux des transports en commun de La Havane ; il y a aussi les camellos, les semi-remorques peints de couleurs vives, et vaguement transformés en bus, qui vont jusqu’en lointaine banlieue normalement ; il y a les bus inter-urbains, comme les nouveaux Yutong chinois, tout neufs ; il y a les vans des entreprises touristiques en devises ; il y a quelques camions, à la benne ouverte ; il y a même les bus bas qui à l’aéroport transportent les passagers de l’avion au terminal! Ils sont tous là, tous réquisitionnés pour l’occasion, s’engouffrant densément sur des centaines de mètres dans les rues alentour.
Ils arrivent des heures avant, avec leurs passagers. Souvent, le chemin a été bien arrosé, on y chante, c’est assez festif.
Dès la marche terminée, en quelques minutes, les bus sont envahis. Chacun cherche celui qui l’a amené sur les lieux, car c’est le même qui le ramènera : tout est organisé par lieu de travail, lieu d’études, CDR.
C’est une véritable cohue, où chacun sait que s’il rate le bus, il ne rentrera pas chez lui : là, tous les transports en commun ont été réquisitionnés pour l’occasion.
Le transport est un problème quotidien aigu ici, on peut très bien attendre plus de deux heures un bus pour aller au travail, ou rentrer chez soi, ou simplement se déplacer. Dans cette pénurie, l’abondance de véhicules qui amènent les participants par paquets a un côté presqu’obscène, une façon crue de montrer où se trouvent les priorités.