12 décembre 2005
dépaysement
A Cuba aussi, les fêtes de Noël sont synonymes de … Sissi ! Ce dimanche à 18h, sur l’une des 4 chaînes nationales, retrouvons la princesse Romy Schneider batifolant dans la neige. Plutôt exotique par ici…
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culture,
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les ampoules
Ca y est, ils sont aussi passés chez moi un matin où je n’y étais pas. Le proprio leur a ouvert, bien sûr, et a consciencieusement suivi les instructions.
Résultat : mes trois lampes se sont retrouvées équipées de leurs ampoules économisatrices.
Le principe : réduire la consommation d’énergie du pays. Le moyen : la destruction de toutes les ampoules incandescentes (les normales, avec leur fil à tungstène en tire bouchon et leur couleur chaude) et leur remplacement par des mini néons. Enfin, pas si mini que ça : chaque bête mesure bien vingt centimètres, et déborde allègrement des abats-jour, diffusant sans nuance sa lumière froide et blanche.
Donc depuis quelques jours, des milliers de “travailleurs sociaux” (une armée de jeunes venus de province et habillés de t-shirt rouges) parcourent systématiquement toutes les rues de La Havane, frappent à toutes les portes, et échangent les vieilles ampoules contre les nouvelles.
Il est possible de refuser, mais de toute façon on ne trouve plus d’ampoules tungstène pour remplacer celles qui claquent, elles ont été retirées de la vente depuis plusieurs mois déjà.
L’intention est bonne, mettre fin aux coupures de courant qui nous hachent la vie. Mais la forme systématique laisse un arrière-gout désagréable de dépossession, d’absence de choix.
Une absence de choix qui fait apparaître comme du sabotage le fait de vouloir s’endormir en lisant à la lumière d’une petite lampe de chevet à la lumière douce…
Résultat : mes trois lampes se sont retrouvées équipées de leurs ampoules économisatrices.
Le principe : réduire la consommation d’énergie du pays. Le moyen : la destruction de toutes les ampoules incandescentes (les normales, avec leur fil à tungstène en tire bouchon et leur couleur chaude) et leur remplacement par des mini néons. Enfin, pas si mini que ça : chaque bête mesure bien vingt centimètres, et déborde allègrement des abats-jour, diffusant sans nuance sa lumière froide et blanche.
Donc depuis quelques jours, des milliers de “travailleurs sociaux” (une armée de jeunes venus de province et habillés de t-shirt rouges) parcourent systématiquement toutes les rues de La Havane, frappent à toutes les portes, et échangent les vieilles ampoules contre les nouvelles.
Il est possible de refuser, mais de toute façon on ne trouve plus d’ampoules tungstène pour remplacer celles qui claquent, elles ont été retirées de la vente depuis plusieurs mois déjà.
L’intention est bonne, mettre fin aux coupures de courant qui nous hachent la vie. Mais la forme systématique laisse un arrière-gout désagréable de dépossession, d’absence de choix.
Une absence de choix qui fait apparaître comme du sabotage le fait de vouloir s’endormir en lisant à la lumière d’une petite lampe de chevet à la lumière douce…
05 décembre 2005
une bougie et une peluche
Mon voisin frappe à ma porte pour m’emprunter une bougie. Comme pour tout, par moments on en trouve partout, et le reste du temps il n’y en a plus nulle part : les aléas sans répit de l’approvisionnement.
Il m’en reste, rescapées du dernier cyclone. Je suis juste un peu étonnée, car aujourd’hui il n’y a pas de coupure de courant, et en plus nous sommes en plein après-midi. Je lui tends la bougie, il me remercie, et me glisse avant de disparaître qu’aujourd’hui c’est la fête de Barbara —Chango pour la santeria.
Ce voisin n’a pas “fait son saint” (initiation), il n’a pas d’autel chez lui, il ne pratique pas la santeria, mais le jour de Chango, il ne manque pas d’allumer une bougie pour lui. Au cas où.
Quant à cet autre couple d’amis, chaque fois qu’ils montent dans ma voiture, ils installent entre les sièges un petit ours en peluche recouvert des colliers d’Elegua, de Yemaya, et d’autres orishas qui les protègent.
Ce n’est pas une fois, par hasard. Non, chaque fois. Est-il besoin de préciser qu’ils vont aussi à l'église le dimanche et que lui est franc-maçon…
Il m’en reste, rescapées du dernier cyclone. Je suis juste un peu étonnée, car aujourd’hui il n’y a pas de coupure de courant, et en plus nous sommes en plein après-midi. Je lui tends la bougie, il me remercie, et me glisse avant de disparaître qu’aujourd’hui c’est la fête de Barbara —Chango pour la santeria.
Ce voisin n’a pas “fait son saint” (initiation), il n’a pas d’autel chez lui, il ne pratique pas la santeria, mais le jour de Chango, il ne manque pas d’allumer une bougie pour lui. Au cas où.
Quant à cet autre couple d’amis, chaque fois qu’ils montent dans ma voiture, ils installent entre les sièges un petit ours en peluche recouvert des colliers d’Elegua, de Yemaya, et d’autres orishas qui les protègent.
Ce n’est pas une fois, par hasard. Non, chaque fois. Est-il besoin de préciser qu’ils vont aussi à l'église le dimanche et que lui est franc-maçon…
02 décembre 2005
complexité technique
Hier soir, un nouveau détenu du groupe des 75 a été libéré, le 15e : Mario Enrique Mayo, journaliste indépendant à Camaguey.
J’ai lu attentivement la sentence qui, en avril 2003, l’avait condamné à 20 ans de prison, coupable “d’actes contre l’indépendance ou l’intégrité territoriale de l’Etat” pour avoir “rassemblé des informations de toutes sortes d’ordre économico-politico-social qui attentaient contre notre Etat Socialiste, services pour lesquels il était payé depuis les Etats-Unis en franche violation des lois établies.”
“Sa posture est de plus en plus belliqueuse et intransigeante, motif pour lequel, en réponse à la menace réelle que ses actions induisent, le Tribunal a prononcé des sanctions de privation de liberté qui portent en elle la sévérité qui correspond à l’intention des accusés de donner notre souveraineté et indépendance à une puissance étrangère”.
Mario Enrique Mayo a signé des articles repris par «la radio ennemie Radio Marti», une radio financée par des fonds américains.
Comme preuves aggravantes de sa complicité avec la section d’intérêts américaine (l’équivalent de l’ambassade en l’absence de relations diplomatiques) , l’acte d’accusation liste les objets confisqués chez lui :
“Une radio portable et ses accessoires, un chargeur de batteries, deux batteries, un mini-cassette enregistreur, une cassette, 267 livres, des imprimés, un agenda téléphoniques et des médicaments. »
Une fois confisqués, « tous les imprimés et livres seront donnés au ministère de l’intérieur pour leur destruction ; tous les équipements électroniques seront donnés au ministère de l’intérieur, vu que leur complexité technique rend imprudente leur utilisation pour une autre activité ». Je reste perplexe face à la complexité technique d’une radio portable…
J’ai lu attentivement la sentence qui, en avril 2003, l’avait condamné à 20 ans de prison, coupable “d’actes contre l’indépendance ou l’intégrité territoriale de l’Etat” pour avoir “rassemblé des informations de toutes sortes d’ordre économico-politico-social qui attentaient contre notre Etat Socialiste, services pour lesquels il était payé depuis les Etats-Unis en franche violation des lois établies.”
“Sa posture est de plus en plus belliqueuse et intransigeante, motif pour lequel, en réponse à la menace réelle que ses actions induisent, le Tribunal a prononcé des sanctions de privation de liberté qui portent en elle la sévérité qui correspond à l’intention des accusés de donner notre souveraineté et indépendance à une puissance étrangère”.
Mario Enrique Mayo a signé des articles repris par «la radio ennemie Radio Marti», une radio financée par des fonds américains.
Comme preuves aggravantes de sa complicité avec la section d’intérêts américaine (l’équivalent de l’ambassade en l’absence de relations diplomatiques) , l’acte d’accusation liste les objets confisqués chez lui :
“Une radio portable et ses accessoires, un chargeur de batteries, deux batteries, un mini-cassette enregistreur, une cassette, 267 livres, des imprimés, un agenda téléphoniques et des médicaments. »
Une fois confisqués, « tous les imprimés et livres seront donnés au ministère de l’intérieur pour leur destruction ; tous les équipements électroniques seront donnés au ministère de l’intérieur, vu que leur complexité technique rend imprudente leur utilisation pour une autre activité ». Je reste perplexe face à la complexité technique d’une radio portable…
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soldes
Les soldes de Noël arrivent à La Havane, et c’est une première !
C’est une façon de parler, car Noël n’est pas vraiment fêté ici (interdit par le gouvernement de Fidel Castro en 1959, il a été redéclaré férié il y a quelques années, mais les Cubains ne le célèbrent pas réellement) , et l’on peut difficilement parler de soldes. En tout cas, pas de grandes guirlandes bariolées dans les vitrines…
En fait, dimanche dernier, le journal télévisé du soir a annoncé une baisse temporaire des prix de certains articles de première nécessité, dans les shoppy, les magasins en monnaie convertible (Cuc, équivalent à l’euro).
Par exemple, le litre d’huile de tournesol passe de 2,20 à 1,95 Cuc; le sachet de 200 g de lessive de 0,55 à 0,50 Cuc, la petite boite de thon de 1,80 à 1,40 Cuc, etc (en gros une baisse de 10% sur un petit éventail de produits, mais parfois jusqu’à 50% pour des fringues).
Ces magasins, qui appartiennent à l’Etat comme tous les magasins de l’île, sont ceux qui distribuent la majorité des biens de consommation courante, tandis que l’économie en monnaie nationale, rationnée, est en pénurie quasi-permanente.
Deux monnaies, deux économies dans un même pays : c’est comme s’il y avait deux monnaies en France, une forte (équivalente à l’euro) et une faible, très faible même (1 pour 24).
On vous paye avec la faible (l’équivalent de 15 euros mensuels), et l’on vous vend avec la forte (à des prix occidentaux).
Dans les deux cas, pas d’alternative : c’est l’Etat qui emploie 80 % des Cubains et fixe les salaires, et c’est l’Etat qui a le monopole du commerce intérieur et de ses prix (supérieurs par décret de 140% aux prix en France).
L’équation quotidienne, impossible à résoudre sans infraction de toutes sortes, est laissée sur vos épaules (d’où marché noir florissant, corruption, vols et détournements).
Ces dernières semaines, la lutte contre ces infractions est devenue la priorité de Fidel Castro, qui a reconnu pour la première fois la gravité du problème. Les mesures de contrôle se multiplient dans tout le pays, les salaires qualifiés ont été augmentés de trois dollars mensuels, mais dans le même temps les tarifs d’électricité ont eux aussi augmenté de 300 % (pour atteindre des tarifs presque français pour ceux qui consomment plus).
C’est face à la tension que suscite cette situation que l’Etat a décidé cette baisse des prix temporaire, pour trois semaines.
Une baisse largement insuffisante et concernant trop peu de produits pour satisfaire les Cubains. De fait, contrairement aux prévisions, on a vu assez peu de files d’attentes devant les magasins concernés pendant les premiers jours.
C’est une façon de parler, car Noël n’est pas vraiment fêté ici (interdit par le gouvernement de Fidel Castro en 1959, il a été redéclaré férié il y a quelques années, mais les Cubains ne le célèbrent pas réellement) , et l’on peut difficilement parler de soldes. En tout cas, pas de grandes guirlandes bariolées dans les vitrines…
En fait, dimanche dernier, le journal télévisé du soir a annoncé une baisse temporaire des prix de certains articles de première nécessité, dans les shoppy, les magasins en monnaie convertible (Cuc, équivalent à l’euro).
Par exemple, le litre d’huile de tournesol passe de 2,20 à 1,95 Cuc; le sachet de 200 g de lessive de 0,55 à 0,50 Cuc, la petite boite de thon de 1,80 à 1,40 Cuc, etc (en gros une baisse de 10% sur un petit éventail de produits, mais parfois jusqu’à 50% pour des fringues).
Ces magasins, qui appartiennent à l’Etat comme tous les magasins de l’île, sont ceux qui distribuent la majorité des biens de consommation courante, tandis que l’économie en monnaie nationale, rationnée, est en pénurie quasi-permanente.
Deux monnaies, deux économies dans un même pays : c’est comme s’il y avait deux monnaies en France, une forte (équivalente à l’euro) et une faible, très faible même (1 pour 24).
On vous paye avec la faible (l’équivalent de 15 euros mensuels), et l’on vous vend avec la forte (à des prix occidentaux).
Dans les deux cas, pas d’alternative : c’est l’Etat qui emploie 80 % des Cubains et fixe les salaires, et c’est l’Etat qui a le monopole du commerce intérieur et de ses prix (supérieurs par décret de 140% aux prix en France).
L’équation quotidienne, impossible à résoudre sans infraction de toutes sortes, est laissée sur vos épaules (d’où marché noir florissant, corruption, vols et détournements).
Ces dernières semaines, la lutte contre ces infractions est devenue la priorité de Fidel Castro, qui a reconnu pour la première fois la gravité du problème. Les mesures de contrôle se multiplient dans tout le pays, les salaires qualifiés ont été augmentés de trois dollars mensuels, mais dans le même temps les tarifs d’électricité ont eux aussi augmenté de 300 % (pour atteindre des tarifs presque français pour ceux qui consomment plus).
C’est face à la tension que suscite cette situation que l’Etat a décidé cette baisse des prix temporaire, pour trois semaines.
Une baisse largement insuffisante et concernant trop peu de produits pour satisfaire les Cubains. De fait, contrairement aux prévisions, on a vu assez peu de files d’attentes devant les magasins concernés pendant les premiers jours.
29 novembre 2005
un monde meilleur est possible
Dimanche soir, j’ai bu une bière à côté d’Emir Kusturica et j’ai failli renverser Fidelito. Le premier était venu à La Havane pour présenter son dernier film, “La vie est un miracle”.
Lors de la projection, la salle de la cinémathèque nationale était pleine d’étudiants de l’école de ciné, mais pas bondée malgré l’entrée libre : les aléas de la circulation de l’information à La Havane ont fait que peu de personnes ont entendu parler de la projection, juste un entrefilet dans Granma, rien aux infos télévisées.
Bref, Kusturica est là, il discute dans les derniers rangs de la salle avec Garcia Marquez (dont il envisage d’adapter L’automne du patriarche, sur la vieillesse d’un dictateur latino-américain effrayant et pathétique); à côté d’eux Alfredo Guevara (rien à voir avec le Che; lui a fondé l’ICAIC, l’institut de ciné qui a produit des merveilles jusqu’aux années 80).
Sur scène, un réalisateur cubain parle du surréalisme tropical et évoque cette pancarte vue dans la campagne cubaine, où deux poules se regardent dans les yeux, sous le nom de l’abattoir de volailles du village, avec la légende premier degré “Un monde meilleur est possible”.
Ce n’est pas une blague : cette phrase est l’un des slogans du gouvernement, et quelqu’un l’a sûrement peinte là en pensant bien faire. Il aurait pu mettre “Vamos bien” , l’autre grand succès du moment.
En sortant de la salle, je manque de renverser un type assez massif qui s’en va lui aussi.
Une fois les portes passées, je reconnais Fidelito. La cinquantaine, la barbe grise et fournie, c’est le fils de Fidel, qui a hérité du même profil d’empereur romain. Il monte dans sa voiture, garée sur le trottoir. C’est toujours surprenant, la grande opacité de ce cercle familial mêlée à un côtoiement inévitable.
Dans le bistrot d’en face, je suis allée prendre une bière avec des amis tandis qu’à la table d’à côté se trouvait Kusturica, apparemment désoeuvré. On cherchait encore comment l’aborder, quand il s’est levé pour partir. Tant pis.
Lors de la projection, la salle de la cinémathèque nationale était pleine d’étudiants de l’école de ciné, mais pas bondée malgré l’entrée libre : les aléas de la circulation de l’information à La Havane ont fait que peu de personnes ont entendu parler de la projection, juste un entrefilet dans Granma, rien aux infos télévisées.
Bref, Kusturica est là, il discute dans les derniers rangs de la salle avec Garcia Marquez (dont il envisage d’adapter L’automne du patriarche, sur la vieillesse d’un dictateur latino-américain effrayant et pathétique); à côté d’eux Alfredo Guevara (rien à voir avec le Che; lui a fondé l’ICAIC, l’institut de ciné qui a produit des merveilles jusqu’aux années 80).
Sur scène, un réalisateur cubain parle du surréalisme tropical et évoque cette pancarte vue dans la campagne cubaine, où deux poules se regardent dans les yeux, sous le nom de l’abattoir de volailles du village, avec la légende premier degré “Un monde meilleur est possible”.
Ce n’est pas une blague : cette phrase est l’un des slogans du gouvernement, et quelqu’un l’a sûrement peinte là en pensant bien faire. Il aurait pu mettre “Vamos bien” , l’autre grand succès du moment.
En sortant de la salle, je manque de renverser un type assez massif qui s’en va lui aussi.
Une fois les portes passées, je reconnais Fidelito. La cinquantaine, la barbe grise et fournie, c’est le fils de Fidel, qui a hérité du même profil d’empereur romain. Il monte dans sa voiture, garée sur le trottoir. C’est toujours surprenant, la grande opacité de ce cercle familial mêlée à un côtoiement inévitable.
Dans le bistrot d’en face, je suis allée prendre une bière avec des amis tandis qu’à la table d’à côté se trouvait Kusturica, apparemment désoeuvré. On cherchait encore comment l’aborder, quand il s’est levé pour partir. Tant pis.
25 novembre 2005
ese no, el otro…
Les Cubains ont une façon géniale d’indiquer des directions ou des dates. Ils commencent par te décrire minutieusement un carrefour, tu sais, là où il y a le feu rouge avec la maison basse au coin et en face le kiosque où ils vendent des batidos, tu vois où c’est ?
Oui oui, je vois.
Et à côté la pharmacie qui jouxte le magasin en devises, tu vois ?
Oui oui…
Et sur le trottoir à gauche, il y a toujours un type qui remplit les briquets, assis derrière une petite table, tu vois ?
Oui…
Bien, alors, ce n’est pas ce carrefour-là, mais celui d’après.
Ese no, el otro.
Oui oui, je vois.
Et à côté la pharmacie qui jouxte le magasin en devises, tu vois ?
Oui oui…
Et sur le trottoir à gauche, il y a toujours un type qui remplit les briquets, assis derrière une petite table, tu vois ?
Oui…
Bien, alors, ce n’est pas ce carrefour-là, mais celui d’après.
Ese no, el otro.
22 novembre 2005
la fin des croix
Aujourd’hui est un grand jour : j’ai décidé d’arracher les bandes de scotch marron que j’avais collé en croix sur mes quelques vitres en juillet dernier quand est passé le cyclone Dennis.
C’est un peu le rituel ici, une sorte de rendez-vous annuel : dès l’annonce du premier cyclone de la saison (qui court de juin à décembre), toutes les vitres se couvrent de ces ornements affreux, mais utiles, censés renforcer les panneaux de verre face à la pression du vent.
Du jour au lendemain, fenêtres et vitrines se retrouvent barrées de ces croix maladroites. Une fois l’ouragan passé, on les laisse, au cas où, et aussi parce que les rouleaux de scotch sont suffisamment rares pour qu’on préfère économiser là-dessus.
Assez vite, on les oublie, on s’habitue jusqu’à ce qu’un jour, on les voit de nouveau, énormes, laides : il est temps de les enlever.
Aujourd’hui donc, alors que Gamma, la 27e tourmente tropicale de la saison, vient de se volatiliser dans la mer des Caraïbes, j’ai fait preuve d’optimisme (je n’ai plus de scotch) , et la lumière douce de l’hiver tropical est entrée à flots dans ma cuisine (c’est le seul endroit où il y a des vitres, le reste de mes fenêtres sont de simples panneaux de bois).
A propos de Gamma, je dinais l’autre soir avec de nouvelles connaissances, et l’un des convives dit en riant qu’il avait mal compris le nom du cyclone et pensait qu’il s’appelait Granma (comme le bateau avec lequel Fidel et ses barbudos ont débarqué pour leur révolution, il y a 49 ans).
Habituée aux blagues cubaines et au second degré, et aussi pour voir un peu où se situaient les personnes présentes, j’ai dit en riant aussi que ce cyclone-là était passé il y a longtemps… silence glacial, on entendait presque les fourchettes dans les grains de riz, jusqu’à ce qu’un autre invité réponde sans le moindre second degré que “oui, et lui a laissé de bonnes conséquences”. Point final, discussion close, il est évidemment inutile de développer. C’est aussi ça Cuba : il y a certains cercles, plus ou moins officiels, où l’humour, même absurde, est banni, même entre amis.
C’est un peu le rituel ici, une sorte de rendez-vous annuel : dès l’annonce du premier cyclone de la saison (qui court de juin à décembre), toutes les vitres se couvrent de ces ornements affreux, mais utiles, censés renforcer les panneaux de verre face à la pression du vent.
Du jour au lendemain, fenêtres et vitrines se retrouvent barrées de ces croix maladroites. Une fois l’ouragan passé, on les laisse, au cas où, et aussi parce que les rouleaux de scotch sont suffisamment rares pour qu’on préfère économiser là-dessus.
Assez vite, on les oublie, on s’habitue jusqu’à ce qu’un jour, on les voit de nouveau, énormes, laides : il est temps de les enlever.
Aujourd’hui donc, alors que Gamma, la 27e tourmente tropicale de la saison, vient de se volatiliser dans la mer des Caraïbes, j’ai fait preuve d’optimisme (je n’ai plus de scotch) , et la lumière douce de l’hiver tropical est entrée à flots dans ma cuisine (c’est le seul endroit où il y a des vitres, le reste de mes fenêtres sont de simples panneaux de bois).
A propos de Gamma, je dinais l’autre soir avec de nouvelles connaissances, et l’un des convives dit en riant qu’il avait mal compris le nom du cyclone et pensait qu’il s’appelait Granma (comme le bateau avec lequel Fidel et ses barbudos ont débarqué pour leur révolution, il y a 49 ans).
Habituée aux blagues cubaines et au second degré, et aussi pour voir un peu où se situaient les personnes présentes, j’ai dit en riant aussi que ce cyclone-là était passé il y a longtemps… silence glacial, on entendait presque les fourchettes dans les grains de riz, jusqu’à ce qu’un autre invité réponde sans le moindre second degré que “oui, et lui a laissé de bonnes conséquences”. Point final, discussion close, il est évidemment inutile de développer. C’est aussi ça Cuba : il y a certains cercles, plus ou moins officiels, où l’humour, même absurde, est banni, même entre amis.
18 novembre 2005
un long discours
Hier, le Miami Herald, “le journal de l’ennemi”, édité en Floride, a publié un long article affirmant que Fidel Castro souffre de la maladie de Parkinson, selon un rapport de la CIA. Bien sûr, pas un mot n’a été prononcé officiellement dans les médias cubains pour contredire ça, tout simplement parce que le Cubain de la rue n’a aucun moyen légal d’en entendre parler, hormis par la bola, la rumeur.
Et quoi de mieux pour faire taire la rumeur ? Un long discours. Il est minuit, Fidel vient de parler pendant cinq heures sans pause, devant des étudiants réunis dans l’université de la havane, et surtout devant les caméras de trois des quatres chaines nationales.
Cinq heures sans pause, c’est long. Et c’est inacessible à un malade, nous souffle l’intention derrière ce discours. Le cadre de cette intervention : l’anniversaire des 60 ans du début des études universitaires de Fidel dans cette même université.
Son index vengeur n’a pas tremblé, sa voix est restée ferme pendant qu’il s’en prenait aux “gaspillages” de toutes sortes, et son regard est toujours aussi menaçant quand il parle de l’Empire (les Etats-Unis bien sûr). Il s'est même donné le luxe de citer nommément l'article du Herald pour s'en moquer.
Cela faisait longtemps (plusieurs semaines) qu’il n’était pas apparu aussi longtemps à la télévision. En se promenant dans la rue ce soir, on pouvait entendre sa voix se répercuter de fenêtre en fenêtre : l’émission cette fois était très suivie, sûrement parce que la nouvelle de Parkinson avait parcouru la Havane comme une traînée de poudre. Aux grands maux, les grands remèdes.
Et quoi de mieux pour faire taire la rumeur ? Un long discours. Il est minuit, Fidel vient de parler pendant cinq heures sans pause, devant des étudiants réunis dans l’université de la havane, et surtout devant les caméras de trois des quatres chaines nationales.
Cinq heures sans pause, c’est long. Et c’est inacessible à un malade, nous souffle l’intention derrière ce discours. Le cadre de cette intervention : l’anniversaire des 60 ans du début des études universitaires de Fidel dans cette même université.
Son index vengeur n’a pas tremblé, sa voix est restée ferme pendant qu’il s’en prenait aux “gaspillages” de toutes sortes, et son regard est toujours aussi menaçant quand il parle de l’Empire (les Etats-Unis bien sûr). Il s'est même donné le luxe de citer nommément l'article du Herald pour s'en moquer.
Cela faisait longtemps (plusieurs semaines) qu’il n’était pas apparu aussi longtemps à la télévision. En se promenant dans la rue ce soir, on pouvait entendre sa voix se répercuter de fenêtre en fenêtre : l’émission cette fois était très suivie, sûrement parce que la nouvelle de Parkinson avait parcouru la Havane comme une traînée de poudre. Aux grands maux, les grands remèdes.
16 novembre 2005
noticiero
Comme je manque un peu d’imagination, je vais vous retranscrire le journal télévisé de ce soir, commun aux quatre chaines, de 20h à 21h :
-Ouverture sur les “XIIIe rencontres pour la coopération et la solidarité des mairies avec La Havane”. On y voit notamment Ricardo Alarcon, le président de l’assemblée nationale, expliquer longuement le sort des “cinco heroes prisioneros del imperio”. On aperçoit aussi Eusebio Leal, l’historien officiel de La Havane, souhaiter la bienvenue aux délégués.
-un reportage sur la rénovation de l’hôtel Saratoga, dans la vieille Havane, et son inauguration par Eusebio Leal (le même). Le reportage s’attarde sur le travail de restauration, mais pas un mot sur le fait que cet hôtel, comme tous ceux qui sont en devises, sera interdit d’accès aux Cubains.
-élections du parti communiste dans la province de Villa Clara, où il est question d’un monde meilleur à construire.
-un sujet sur les relations qui se tendent entre le Mexique et le Vénézuela. Profil bas dans l’ensemble, mais tout de même une mention en passant “des journaux mexicains qui soulignent l’impérétie de la diplomatie du gouvernement Fox”. Les deux heures précédentes avaient rediffusé le Alo presidente de Chavez de dimanche dernier.
-images des débats au Parlement européen sur l’existence de prisons fantômes de la CIA
-un sujet sur le Washington Post qui demande la présentation de documents dans le cadre du CIAgate
-la situation de Fujimori au Chili, et le temps nécessaire à son extradition
-sports (boxe)
-court-métrage sur une femme qui a travaillé comme infirmière pendant la guerre d’Angola, suivi par un long sujet sur l’état actuel de l’Angola. Pour les 30 ans du début de l’opération Carlota, qui a vu l’intervention cubaine en Angola, des reportages quotidiens sont diffusés, avec en bande-son la musique obsédante du film Caravane, de Rogelio Paris.
-reportage sur le “8e congrès latino américain d’éducation bilingue pour les sourds-muets”, qui se tient à La Havane. Le commentaire sur des écoles spécialisées à Cuba se termine par ces mots touchants : “pour ces enfants qui ont la chance de vivre à Cuba”
-sujet sur” la mort de huit résistants irakiens”
-visite de Bush au Japon, illustrée par les images de manifestations en Corée du Sud
-sujet sur les relations économiques entre l’Espagne et la Chine
-édito sur l’apparition de Chirac à la télévision, modéré dans le fond et ironique dans la forme
-reportage sur une cérémonie de prix décernés par les Comités de Défense de la Révolution
-reportage sur les “Ve rencontres sur les droits des enfants”, où l’on retrouve Alarcon, qui nous parle à nouveau des “cinco heroes prisioneros del imperio” séparés de leur famille.
- section culturelle sur deux expositions
- reportage inattendu sur une opération d’ablation d’une partie de l’estomac, avec longues images explicites (bon appétit chers auditeurs). Une opération qui correspond plus ou moins à celle de Maradona, le nouveau héraut du gouvernement cubain.
FIN
Quelques éléments de présentation :
L’ouverture se fait toujours sur un sujet national, le plus souvent politique, quelque soit l’actualité du moment.
Tous les reportages internationaux sont des reportages réalisés par TVE (espagnole), CNN, ou d’autres, repris dans le cadre d’accords; parfois ce ne sont que les images montées, et le commentaire est réalisé ici; si le commentaire est long, on repasse en boucle les images le temps nécessaire. D’autres fois, des bouts de commentaires sont gardés, et l’on assiste alors à un puzzle saucissoné d’accent espagnol chuintant et d’accent cubain réprobateur.
En règle général, l’actualité internationale est catastrophique, sauf au Vénézuela, et parfois en Chine. Quant à l’actualité nationale, elle est fait plaisir à voir; on y ouvre jour après jour de nouvelles salles de soin, de nouvelles salles d’enseignements, on y répare sans répit tout dysfonctionnement, mais de fait il y en peu, et tout le monde est heureux, plein de reconnaissance pour la révolution, le parti et Fidel.
Quelques grands classiques :
la lecture sobre et in extenso de notes gouvernementales par les deux présentateurs du noticiero, qui peut prendre jusqu'à dix minutes montre en main.
les cinco heroes prisioneros del imperio
les progrès de la médecine et de l'éducation
la répercussion internationale de succès/congrès/pétition/manifestation militante, etc cubains (va de pair avec le silence si les réactions concernent des échecs/scandales/emprisonnements…)
-Ouverture sur les “XIIIe rencontres pour la coopération et la solidarité des mairies avec La Havane”. On y voit notamment Ricardo Alarcon, le président de l’assemblée nationale, expliquer longuement le sort des “cinco heroes prisioneros del imperio”. On aperçoit aussi Eusebio Leal, l’historien officiel de La Havane, souhaiter la bienvenue aux délégués.
-un reportage sur la rénovation de l’hôtel Saratoga, dans la vieille Havane, et son inauguration par Eusebio Leal (le même). Le reportage s’attarde sur le travail de restauration, mais pas un mot sur le fait que cet hôtel, comme tous ceux qui sont en devises, sera interdit d’accès aux Cubains.
-élections du parti communiste dans la province de Villa Clara, où il est question d’un monde meilleur à construire.
-un sujet sur les relations qui se tendent entre le Mexique et le Vénézuela. Profil bas dans l’ensemble, mais tout de même une mention en passant “des journaux mexicains qui soulignent l’impérétie de la diplomatie du gouvernement Fox”. Les deux heures précédentes avaient rediffusé le Alo presidente de Chavez de dimanche dernier.
-images des débats au Parlement européen sur l’existence de prisons fantômes de la CIA
-un sujet sur le Washington Post qui demande la présentation de documents dans le cadre du CIAgate
-la situation de Fujimori au Chili, et le temps nécessaire à son extradition
-sports (boxe)
-court-métrage sur une femme qui a travaillé comme infirmière pendant la guerre d’Angola, suivi par un long sujet sur l’état actuel de l’Angola. Pour les 30 ans du début de l’opération Carlota, qui a vu l’intervention cubaine en Angola, des reportages quotidiens sont diffusés, avec en bande-son la musique obsédante du film Caravane, de Rogelio Paris.
-reportage sur le “8e congrès latino américain d’éducation bilingue pour les sourds-muets”, qui se tient à La Havane. Le commentaire sur des écoles spécialisées à Cuba se termine par ces mots touchants : “pour ces enfants qui ont la chance de vivre à Cuba”
-sujet sur” la mort de huit résistants irakiens”
-visite de Bush au Japon, illustrée par les images de manifestations en Corée du Sud
-sujet sur les relations économiques entre l’Espagne et la Chine
-édito sur l’apparition de Chirac à la télévision, modéré dans le fond et ironique dans la forme
-reportage sur une cérémonie de prix décernés par les Comités de Défense de la Révolution
-reportage sur les “Ve rencontres sur les droits des enfants”, où l’on retrouve Alarcon, qui nous parle à nouveau des “cinco heroes prisioneros del imperio” séparés de leur famille.
- section culturelle sur deux expositions
- reportage inattendu sur une opération d’ablation d’une partie de l’estomac, avec longues images explicites (bon appétit chers auditeurs). Une opération qui correspond plus ou moins à celle de Maradona, le nouveau héraut du gouvernement cubain.
FIN
Quelques éléments de présentation :
L’ouverture se fait toujours sur un sujet national, le plus souvent politique, quelque soit l’actualité du moment.
Tous les reportages internationaux sont des reportages réalisés par TVE (espagnole), CNN, ou d’autres, repris dans le cadre d’accords; parfois ce ne sont que les images montées, et le commentaire est réalisé ici; si le commentaire est long, on repasse en boucle les images le temps nécessaire. D’autres fois, des bouts de commentaires sont gardés, et l’on assiste alors à un puzzle saucissoné d’accent espagnol chuintant et d’accent cubain réprobateur.
En règle général, l’actualité internationale est catastrophique, sauf au Vénézuela, et parfois en Chine. Quant à l’actualité nationale, elle est fait plaisir à voir; on y ouvre jour après jour de nouvelles salles de soin, de nouvelles salles d’enseignements, on y répare sans répit tout dysfonctionnement, mais de fait il y en peu, et tout le monde est heureux, plein de reconnaissance pour la révolution, le parti et Fidel.
Quelques grands classiques :
la lecture sobre et in extenso de notes gouvernementales par les deux présentateurs du noticiero, qui peut prendre jusqu'à dix minutes montre en main.
les cinco heroes prisioneros del imperio
les progrès de la médecine et de l'éducation
la répercussion internationale de succès/congrès/pétition/manifestation militante, etc cubains (va de pair avec le silence si les réactions concernent des échecs/scandales/emprisonnements…)
10 novembre 2005
pigeon volant volé
C’est toute une époque qui s’achève : on m’a volé mon vélo, celui que j’avais trouvé à quelques semaines de mon arrivée, il y a un an et demi. Ca s’est passé pendant les jours précédant l’arrivée de Wilma, dans l’effervescence pré-cyclonique, quelqu’un s’est faufilé dans la maison, et pffuit, envolé mon Flying Pigeon 26 préféré, un chinois rouge et lourd, sans lumières, sans sonnette, sans changement de vitesse, aux freins faits de tiges de fer…
Même si j’ai transpiré avec lui, sous le soleil impitoyable des tropiques, il a changé ma vie, de piéton sans recours à cycliste chanceuse. Mais c’est fini maintenant.
Heureusement, pour me déplacer, j’ai une voiture depuis quelques mois, un vrai luxe ici. Du coup, comme tous les conducteurs je suis assaillie à chaque feu rouge, par tous ceux qui n’ont ni vélo, ni voiture, ni dix pesos pour prendre les taxis collectifs, ni deux heures devant eux pour attendre le camello, le bus camion à deux bosses.
Chaque jour, je prends entre cinq et dix personnes en stop au cours de mes déplacements, parfois on discute longuement, parfois le trajet se passe en silence.
J’ai eu l’occasion de rencontrer comme ça une actrice de radio feuilleton, qui m’a improvisé un spectacle d’imitations de voix, une ex-ambassadrice à la retraite, des étudiants sud américains inscrits ici dans le cadre de bourses cubaines, un grand nombre d’employés de divers magasins d’Etat, une neuro-chirurgienne, une spécialiste du fromage, une anesthésiste, des militaires, des policiers, une nana du Malecon à l’appartement dévasté par Wilma, une femme venue de l’île de la Jeunesse visiter sa sœur en prison à La Havane, condamnée pour détournements à quinze ans de prison,…
Une nuit, au coeur de Centro Habana, c’est même une foule qui m’a fait stopper dans une rue sans éclairage, au milieu d'une coupure de courant. Je n’étais pas trop rassurée, on raconte tellement d’histoires sordides ces derniers temps sur la délinquance havanaise. Mais là, c’était une vieille dame de 92 ans que ses voisins avaient retrouvé inconsciente dans son solar. Ils cherchaient un moyen de transport à l’hôpital Ciro Garcia, derrière l’université, et l’on a foncé vers les urgences.
Même si j’ai transpiré avec lui, sous le soleil impitoyable des tropiques, il a changé ma vie, de piéton sans recours à cycliste chanceuse. Mais c’est fini maintenant.
Heureusement, pour me déplacer, j’ai une voiture depuis quelques mois, un vrai luxe ici. Du coup, comme tous les conducteurs je suis assaillie à chaque feu rouge, par tous ceux qui n’ont ni vélo, ni voiture, ni dix pesos pour prendre les taxis collectifs, ni deux heures devant eux pour attendre le camello, le bus camion à deux bosses.
Chaque jour, je prends entre cinq et dix personnes en stop au cours de mes déplacements, parfois on discute longuement, parfois le trajet se passe en silence.
J’ai eu l’occasion de rencontrer comme ça une actrice de radio feuilleton, qui m’a improvisé un spectacle d’imitations de voix, une ex-ambassadrice à la retraite, des étudiants sud américains inscrits ici dans le cadre de bourses cubaines, un grand nombre d’employés de divers magasins d’Etat, une neuro-chirurgienne, une spécialiste du fromage, une anesthésiste, des militaires, des policiers, une nana du Malecon à l’appartement dévasté par Wilma, une femme venue de l’île de la Jeunesse visiter sa sœur en prison à La Havane, condamnée pour détournements à quinze ans de prison,…
Une nuit, au coeur de Centro Habana, c’est même une foule qui m’a fait stopper dans une rue sans éclairage, au milieu d'une coupure de courant. Je n’étais pas trop rassurée, on raconte tellement d’histoires sordides ces derniers temps sur la délinquance havanaise. Mais là, c’était une vieille dame de 92 ans que ses voisins avaient retrouvé inconsciente dans son solar. Ils cherchaient un moyen de transport à l’hôpital Ciro Garcia, derrière l’université, et l’on a foncé vers les urgences.
02 novembre 2005
laid avec une grosse tête
Les magasins ici ont tous des noms, même les plus petits. Des noms assez jolis d’ailleurs, à défaut d’avoir des marques ou des enseignes, comme Felix Potin ou Intermarché, puisque de toute façon, ils appartiennent tous à l’Etat.
La Infancia (L’Enfance), par exemple, à 23 y 6, où l’on trouve parmi les conserves et les récipients made in China quelques vêtements d’enfants, d’où son nom peut-être. El Danubio (Le Danube), au coin de 23 y 26, qui n’a lui rien à voir avec le fleuve slave, et vend un peu d’électro ménager sud-coréen et des produits pour les cheveux, un mélange inattendu, mais courant dans les magasins ici.
Il y a aussi les anciens grands magasins de Centro Habana, qui ont eu fait la fierté de La Havane “en el tiempo del capitalismo”, comme Fin de siglo (Fin de siècle), o La Epoca (L’Epoque). El Encanto (l’Enchantement) a eu un destin plus tragique, incendié lors d’un sabotage, au début des années 60, tuant l’une des vendeuses. C’était l’un des plus grands magasins d’Amérique latine, très chic. “Desde que se quemó el Encanto, la ciudad ya no es lo mismo. La Habana parece una ciudad del interior” (Memorias del subdesarrollo, d'Edmundo Desnoes).
La demi-douzaine de grands supermarchés en devises, nés dans les années 90 au moment de l’autorisation du dollar, eux, n’ont pas de nom, juste leur adresse en gros au-dessus des portes : Quinta y 42, Tercera y 70.
Le nom le plus drôle est sûrement Feito y Cabezon, une quincaillerie qui a gardé son nom de l’avant-révolution, et qui signifie littéralement “Laid avec une grosse tête”. C’est une référence pour tout le monde, avec bien sûr les mêmes soucis d’approvisionnement aléatoire que les autres tiendas. Je me souviens d’une vendeuse d’un magasin de tissu à qui je demandais quand il y aurait à nouveau des tissus en coton, épuisés depuis longtemps. “Je ne sais pas, m’avait-elle répondu. Pour le moment, aucun bateau avec ce type de chargement n’est prévu au port”. Et oui, Cuba est une île…
C’est peut-être ça le plus dur à intégrer ici : l’incertitude de l’approvisionnement, qui fait que le yaourt ou le beurre disparaissent de tous les magasins pendant des semaines ou des mois, que l’on se passe le mot comme un événement quand on trouve dans un shoppy (magasin en devises) des bons morceaux de poulet congelés, et que l’on demande sans hésiter à un passant inconnu où il a trouvé les oeufs qu’il porte à bout de bras dans un sac en plastique.
Un ami espagnol en visite décide de préparer une tortilla pour le soir même : mauvaise pioche! Difficile pour lui de comprendre que les oeufs sont introuvables depuis trois semaines, et qu’acheter des pommes de terre est illégal pour un étranger (elles sont réservées au carnet de rationnement, les acheter quand même relève du délit, avec léger frisson au moment d’ouvrir le sac plastique pour les enfourner, en regardant à droite et à gauche).
Car bien sûr, pour ceux qui connaissent les réseaux, tout se trouve, avec plus ou moins de temps : le marché noir est florissant, on y trouve de la viande de boeuf, du lait en poudre, de la margarine, du fromage, du poisson, et même de la langouste. Le risque, en dehors de l’illégalité de la chose, ce sont les conditions sanitaires de ces produits, qui passent de sac plastique en sac plastique, et de frigos débranchés en panne de courants…
La Infancia (L’Enfance), par exemple, à 23 y 6, où l’on trouve parmi les conserves et les récipients made in China quelques vêtements d’enfants, d’où son nom peut-être. El Danubio (Le Danube), au coin de 23 y 26, qui n’a lui rien à voir avec le fleuve slave, et vend un peu d’électro ménager sud-coréen et des produits pour les cheveux, un mélange inattendu, mais courant dans les magasins ici.
Il y a aussi les anciens grands magasins de Centro Habana, qui ont eu fait la fierté de La Havane “en el tiempo del capitalismo”, comme Fin de siglo (Fin de siècle), o La Epoca (L’Epoque). El Encanto (l’Enchantement) a eu un destin plus tragique, incendié lors d’un sabotage, au début des années 60, tuant l’une des vendeuses. C’était l’un des plus grands magasins d’Amérique latine, très chic. “Desde que se quemó el Encanto, la ciudad ya no es lo mismo. La Habana parece una ciudad del interior” (Memorias del subdesarrollo, d'Edmundo Desnoes).
La demi-douzaine de grands supermarchés en devises, nés dans les années 90 au moment de l’autorisation du dollar, eux, n’ont pas de nom, juste leur adresse en gros au-dessus des portes : Quinta y 42, Tercera y 70.
Le nom le plus drôle est sûrement Feito y Cabezon, une quincaillerie qui a gardé son nom de l’avant-révolution, et qui signifie littéralement “Laid avec une grosse tête”. C’est une référence pour tout le monde, avec bien sûr les mêmes soucis d’approvisionnement aléatoire que les autres tiendas. Je me souviens d’une vendeuse d’un magasin de tissu à qui je demandais quand il y aurait à nouveau des tissus en coton, épuisés depuis longtemps. “Je ne sais pas, m’avait-elle répondu. Pour le moment, aucun bateau avec ce type de chargement n’est prévu au port”. Et oui, Cuba est une île…
C’est peut-être ça le plus dur à intégrer ici : l’incertitude de l’approvisionnement, qui fait que le yaourt ou le beurre disparaissent de tous les magasins pendant des semaines ou des mois, que l’on se passe le mot comme un événement quand on trouve dans un shoppy (magasin en devises) des bons morceaux de poulet congelés, et que l’on demande sans hésiter à un passant inconnu où il a trouvé les oeufs qu’il porte à bout de bras dans un sac en plastique.
Un ami espagnol en visite décide de préparer une tortilla pour le soir même : mauvaise pioche! Difficile pour lui de comprendre que les oeufs sont introuvables depuis trois semaines, et qu’acheter des pommes de terre est illégal pour un étranger (elles sont réservées au carnet de rationnement, les acheter quand même relève du délit, avec léger frisson au moment d’ouvrir le sac plastique pour les enfourner, en regardant à droite et à gauche).
Car bien sûr, pour ceux qui connaissent les réseaux, tout se trouve, avec plus ou moins de temps : le marché noir est florissant, on y trouve de la viande de boeuf, du lait en poudre, de la margarine, du fromage, du poisson, et même de la langouste. Le risque, en dehors de l’illégalité de la chose, ce sont les conditions sanitaires de ces produits, qui passent de sac plastique en sac plastique, et de frigos débranchés en panne de courants…
31 octobre 2005
eau boueuse
Une amie comédienne m’appelle la semaine dernière. Elle est très gênée de me demander ça, mais elle ne sait pas à qui s’adresser, elle ne connaît personne qui ait une voiture. L’appart où elle vivait, un rez de chaussée à deux rues du Malecon, a été inondé par Wilma. Elle avait tout bien fermé, était allée passer le cyclone chez des amis, mais lundi matin, elle avait trouvé les eaux à hauteur de cuisse, et n’avait pas pu entrer chez elle. Le mardi, après que l’eau soit un peu redescendue, elle avait pu ouvrir sa porte. Tout était sens dessus dessous, l’eau était montée à un mètre. Ca parait peu, mais c’est fou les dégâts que fait un mètre d’eau dans une maison. Tous ses papiers, ses livres, trempés, éparpillés, son frigo hors d’usage, sa télé aux mains d’un ami en train de la sécher avec un séchoir à cheveux, son matelas plein d’eau boueuse et salée…
Avec une dizaine d’amis, elle avait vidé l’eau de l’appart, mis à sécher les draps et quelques fringues, récupéré ses deux tortues, qui avaient dû être surprises de nager soudain dans des flots aussi élevés, taillé impitoyablement la vigne qui ombrageait son patio pour que le soleil et le vent puisse sécher un peu toute l’humidité poisseuse des sols.
On a chargé quelques valises de fringues et de papiers, et on est allées chez sa mère, à la campagne, à une heure de voiture de La Havane. L’idée était de laisser ces affaires là-bas, que sa mère puisse les laver, pour sauver au moins quelques trucs. Le déballage fut assez triste, les fringues déteintes dégageaient une odeur nauséabonde, les lettres et les photos personnelles étaient toutes délavées et irrécupérables, ses diplômes, ses papiers de même. D’un coup, elle se retrouvait sans passé, ou du moins, sans traces de son passé.
C’est d’autant plus violent qu’en général les Cubains ont peu de choses dans leurs maisons. A part quelques babioles en porcelaines made in China, et des fleurs artificielles aux couleurs improbables, les seuls biens précieux sont souvent les photos des Quince de la fille de la maison (un rituel, souvent accroché aux murs), et les diplômes, qui constituent une véritable épidémie ici (diplôme de présence à tel acte, certificat de vanguardista de telle année, etc…) A part ça, la décoration est minimale, et l’on a rarement des doubles de quoi que ce soit.
Le jour des inondations, venue voir les dégâts près du Malecon transformé en fleuve, j’ai rencontré une dame qui m’a expliqué qu’elle n’avait pas pu évacuer son frigo, ni son matelas. “Mais vous habitez où?” Elle m’a montré l’entrée d’un garage à voiture, en sous-sol, complètement rempli d’eau. “Dans le garage ?” Pas exactement, au fond du garage, elle a construit un mur pour faire sa maison là. Elle même est sortie la nuit du cyclone pour dormir chez des voisins au-dessus, mais elle n’a pas pu sortir ses affaires, et maintenant tout est perdu. Quand un frigo coûte 400 dollars dans les magasins de l’Etat, et que le salaire moyen est de 12 dollars par mois…
Avec une dizaine d’amis, elle avait vidé l’eau de l’appart, mis à sécher les draps et quelques fringues, récupéré ses deux tortues, qui avaient dû être surprises de nager soudain dans des flots aussi élevés, taillé impitoyablement la vigne qui ombrageait son patio pour que le soleil et le vent puisse sécher un peu toute l’humidité poisseuse des sols.
On a chargé quelques valises de fringues et de papiers, et on est allées chez sa mère, à la campagne, à une heure de voiture de La Havane. L’idée était de laisser ces affaires là-bas, que sa mère puisse les laver, pour sauver au moins quelques trucs. Le déballage fut assez triste, les fringues déteintes dégageaient une odeur nauséabonde, les lettres et les photos personnelles étaient toutes délavées et irrécupérables, ses diplômes, ses papiers de même. D’un coup, elle se retrouvait sans passé, ou du moins, sans traces de son passé.
C’est d’autant plus violent qu’en général les Cubains ont peu de choses dans leurs maisons. A part quelques babioles en porcelaines made in China, et des fleurs artificielles aux couleurs improbables, les seuls biens précieux sont souvent les photos des Quince de la fille de la maison (un rituel, souvent accroché aux murs), et les diplômes, qui constituent une véritable épidémie ici (diplôme de présence à tel acte, certificat de vanguardista de telle année, etc…) A part ça, la décoration est minimale, et l’on a rarement des doubles de quoi que ce soit.
Le jour des inondations, venue voir les dégâts près du Malecon transformé en fleuve, j’ai rencontré une dame qui m’a expliqué qu’elle n’avait pas pu évacuer son frigo, ni son matelas. “Mais vous habitez où?” Elle m’a montré l’entrée d’un garage à voiture, en sous-sol, complètement rempli d’eau. “Dans le garage ?” Pas exactement, au fond du garage, elle a construit un mur pour faire sa maison là. Elle même est sortie la nuit du cyclone pour dormir chez des voisins au-dessus, mais elle n’a pas pu sortir ses affaires, et maintenant tout est perdu. Quand un frigo coûte 400 dollars dans les magasins de l’Etat, et que le salaire moyen est de 12 dollars par mois…
29 octobre 2005
entre cyclones
Cette fois-ci, le cyclone n’a pas eu droit à un surnom, comme on en donne souvent dans la presse locale : après Ivan le terrible, l’an dernier, il y avait notamment eu Dennis, le cyclone mercenaire (parce qu’il était entré par la baie des Cochons, près de Cienfuegos). Mais Wilma, c’était plus délicat, ça ressemble beaucoup à Vilma, le nom de la femme de Raul Castro.
Donc Wilma est passée, et elle a inondé La havane (entre autres). Heureusement il y avait eu beaucoup d’évacuations les jours précédents, cela faisait une semaine qu’on l’attendait.
A chaque arrivée de cyclone, c’est la même chose. La vie est normale, tout le monde vaque à ses activités, et tout d’un coup, un jour, lors des infos du midi ou du soir, la présentatrice nous parle d’une tempête tropicale qui est en train de se former, et qui pourrait menacer Cuba.
A partir de ce moment-là, l’atmosphère change complètement dans la ville, nous entrons tous dans l’attente, nous sommes comme en sursis, le journal ne parle plus que de la préparation au cyclone, à la télé, à la radio.
Généralement, il est impossible de réaliser des activités normales dans ces jours pré-cycloniques. Tout le monde commence à faire des réserves comme il peut, des conserves (chères, dans les magasins en devises uniquement), de l’eau que l’on fait bouillir à l’avance pour avoir de l’eau potable, des bougies quand on a de la chance. On entend réellement partout dans les rues des coups de marteaux, qui plantent les clous dans les planches ou les bouts de bois qui protègeront les fenêtres des bourrasques. Les écoles ferment, pas mal de bureaux aussi.
Le cyclone, qui n’existait pas la veille, devient le principal sujet de conversation, et tout le monde dans ces moments-là regarde le Noticiero avec attention. Les uns donnent leur avis, les autres citent José Rubiera, notre monsieur Météo national, une perle : en temps de cyclone, Rubiera ne dort plus, il est avec nous 24 heures sur 24, à la télévision, dès l’aube, à midi, tard le soir, on le voit sans cesse, lui et sa grosse moustache, ses cheveux en brosse, son regard légèrement strabique, mais surtout sa pédagogie.
C’est grâce à lui que depuis vingt ans, chaque Cubain est capable d’évaluer n’importe quel cyclone, de parler de basse pression comme on parlerait d’un film qu’on a aimé. Rubiera sait tout sur le sujet, c’est un passioné, qui évoque souvent tel ouragan de 1910 ou tel autre de 1944, s’efforce de rendre compréhensibles des séries de chiffres, et nous explique avec force gestes la trajectoire de l’oeil menaçant, sur la carte météo. Bref, il devient un nouveau membre de la famille, dans chaque maison, durant les quelques jours que dure le cyclone.
Mais cette fois-ci, on n’en pouvait plus d’attendre : Wilma avançait tellement lentement, à 8 km/h contre au moins 18-20 km/h d’habitude. Elle devait arriver près de Cuba vendredi matin, elle est finalement passée lundi matin : trois jours de plus, dans ce temps suspendu, avec la plupart des commerces barricadés derrière les plaques de contreplaqués ou les étoiles de gros scotch marron. C’est une attente qui devient à la longue exaspérante, qui fait souhaiter que le cyclone arrive vite, puisque de toute façon il n’y a rien à faire pour l’éviter.
Quand enfin le cyclone arrive, tout le monde a fait ses provisions de mauvais rhum, et une fois la maison bien barricadée, on va chez des amis pour jouer aux dominos. Une variante, aperçue cette fois-ci sur un balcon de ma rue. Vers 23 heures, alors que la nuit et les bourrasques rendaient l'extérieur peu hospitalier, deux hommes étaient assis autour d’un jeu d’échecs, sur leur balcon, éclairés par une de ces lampes rechargeables à la lumière bleutée. Tranquilles, concentrés malgré les coups de vent, ils jouaient aux échecs au milieu de l'ouragan…
Donc Wilma est passée, et elle a inondé La havane (entre autres). Heureusement il y avait eu beaucoup d’évacuations les jours précédents, cela faisait une semaine qu’on l’attendait.
A chaque arrivée de cyclone, c’est la même chose. La vie est normale, tout le monde vaque à ses activités, et tout d’un coup, un jour, lors des infos du midi ou du soir, la présentatrice nous parle d’une tempête tropicale qui est en train de se former, et qui pourrait menacer Cuba.
A partir de ce moment-là, l’atmosphère change complètement dans la ville, nous entrons tous dans l’attente, nous sommes comme en sursis, le journal ne parle plus que de la préparation au cyclone, à la télé, à la radio.
Généralement, il est impossible de réaliser des activités normales dans ces jours pré-cycloniques. Tout le monde commence à faire des réserves comme il peut, des conserves (chères, dans les magasins en devises uniquement), de l’eau que l’on fait bouillir à l’avance pour avoir de l’eau potable, des bougies quand on a de la chance. On entend réellement partout dans les rues des coups de marteaux, qui plantent les clous dans les planches ou les bouts de bois qui protègeront les fenêtres des bourrasques. Les écoles ferment, pas mal de bureaux aussi.
Le cyclone, qui n’existait pas la veille, devient le principal sujet de conversation, et tout le monde dans ces moments-là regarde le Noticiero avec attention. Les uns donnent leur avis, les autres citent José Rubiera, notre monsieur Météo national, une perle : en temps de cyclone, Rubiera ne dort plus, il est avec nous 24 heures sur 24, à la télévision, dès l’aube, à midi, tard le soir, on le voit sans cesse, lui et sa grosse moustache, ses cheveux en brosse, son regard légèrement strabique, mais surtout sa pédagogie.
C’est grâce à lui que depuis vingt ans, chaque Cubain est capable d’évaluer n’importe quel cyclone, de parler de basse pression comme on parlerait d’un film qu’on a aimé. Rubiera sait tout sur le sujet, c’est un passioné, qui évoque souvent tel ouragan de 1910 ou tel autre de 1944, s’efforce de rendre compréhensibles des séries de chiffres, et nous explique avec force gestes la trajectoire de l’oeil menaçant, sur la carte météo. Bref, il devient un nouveau membre de la famille, dans chaque maison, durant les quelques jours que dure le cyclone.
Mais cette fois-ci, on n’en pouvait plus d’attendre : Wilma avançait tellement lentement, à 8 km/h contre au moins 18-20 km/h d’habitude. Elle devait arriver près de Cuba vendredi matin, elle est finalement passée lundi matin : trois jours de plus, dans ce temps suspendu, avec la plupart des commerces barricadés derrière les plaques de contreplaqués ou les étoiles de gros scotch marron. C’est une attente qui devient à la longue exaspérante, qui fait souhaiter que le cyclone arrive vite, puisque de toute façon il n’y a rien à faire pour l’éviter.
Quand enfin le cyclone arrive, tout le monde a fait ses provisions de mauvais rhum, et une fois la maison bien barricadée, on va chez des amis pour jouer aux dominos. Une variante, aperçue cette fois-ci sur un balcon de ma rue. Vers 23 heures, alors que la nuit et les bourrasques rendaient l'extérieur peu hospitalier, deux hommes étaient assis autour d’un jeu d’échecs, sur leur balcon, éclairés par une de ces lampes rechargeables à la lumière bleutée. Tranquilles, concentrés malgré les coups de vent, ils jouaient aux échecs au milieu de l'ouragan…
12 octobre 2005
de noche en casa
Il est huit heures du soir, il fait nuit, et c'est la deuxième coupure de courant de la journée, je ne sais pas pour combien de temps. On n'y voit goutte, mon quartier est comme la bouche d'un four.
Une de mes meilleures amies ici vient de m'appeler : son père a été arrêté. Je le connais, il a longtemps été journaliste de la presse officielle, avant de s'en éloigner dans les années 90. Dernièrement, il a créé Consenso, une revue digitale, sur internet, indépendante comme on dit ici pour tout ce qui n'est pas géré par l'Etat (Update janvier 2009 : la revue continue sous un autre nom, elle s'appelle maintenant Desde Cuba). Une revue intéressante, et surtout inédite : les visions divergentes sortent rarement de l'île même, elles viennent plus généralement d'en face, de l'exil.
Là, c'est une voix de l'intérieur qui parle, sans provocations, sans haines, juste la volonté de la réflexion.
Hier, un acto de repudio a eu lieu devant la maison où se tient la conférence de rédaction un lundi sur deux. Le "acto de repudio", c'est redevenu la nouvelle arme du gouvernement. C'est né en 1980, au moment du Mariel, puis ça avait quasiment disparu jusqu'à cet été.
On rassemble des gens, par dizaines, par centaines (il paraît qu'ils étaient 300 hier, presque tous retraités), on les amène devant la maison d'un dissident, et on les laisse là crier et insulter tout leur saoul, pour la défense de la révolution. Je n'étais pas présente à celui d'hier, mais j'ai assisté à plusieurs depuis le début de l'été, depuis que Fidel a dit que "la rue ne tolèrera pas les gusanos".
"La rue" en l'occurence est très manipulée, les gens convoqués ne savent pas exactement pourquoi ils sont là, ne connaissent pas ce qu'ils reprochent au dissident désigné à leur hargne, tout le monde est soigneusement filmé par la Seguridad del Estado, mots d'excuse au travail bien sûr, et à l'heure dite, tout le monde disparaît en moins de cinq minutes.
C'est très impressionnant, très effrayant aussi, c'est une violence légitimée, encouragée, mais surtout c'est une violence aveugle, qui ne cherche pas à savoir ce qu'elle est censée combattre.
Bref, cette amie vient de m'appeler, elle ne sait pas où son père a été arrêté, elle sait qu'il est au poste de police, mais pourquoi, jusqu'à quand…? Je pense malgré moi à ces journalistes indépendants condamnés à dix-quinze-vingt ans de prison ces dernières années. La voix de mon amie est moins directe que d'habitude, moins assurée. Elle sait aussi ce qui peut arriver, quand un journaliste indépendant est arrêté.
Une heure plus tard, elle me rappelle, son père est rentré, la police lui a posé des questions sur ces liens avec la maison devant laquelle le mitín a eu lieu, puis ils l'ont relâché. Cela ressemble fort à de l'intimidation.
Après deux heures et demi, le courant est revenu, la nuit se fait moins hostile.
Une de mes meilleures amies ici vient de m'appeler : son père a été arrêté. Je le connais, il a longtemps été journaliste de la presse officielle, avant de s'en éloigner dans les années 90. Dernièrement, il a créé Consenso, une revue digitale, sur internet, indépendante comme on dit ici pour tout ce qui n'est pas géré par l'Etat (Update janvier 2009 : la revue continue sous un autre nom, elle s'appelle maintenant Desde Cuba). Une revue intéressante, et surtout inédite : les visions divergentes sortent rarement de l'île même, elles viennent plus généralement d'en face, de l'exil.
Là, c'est une voix de l'intérieur qui parle, sans provocations, sans haines, juste la volonté de la réflexion.
Hier, un acto de repudio a eu lieu devant la maison où se tient la conférence de rédaction un lundi sur deux. Le "acto de repudio", c'est redevenu la nouvelle arme du gouvernement. C'est né en 1980, au moment du Mariel, puis ça avait quasiment disparu jusqu'à cet été.
On rassemble des gens, par dizaines, par centaines (il paraît qu'ils étaient 300 hier, presque tous retraités), on les amène devant la maison d'un dissident, et on les laisse là crier et insulter tout leur saoul, pour la défense de la révolution. Je n'étais pas présente à celui d'hier, mais j'ai assisté à plusieurs depuis le début de l'été, depuis que Fidel a dit que "la rue ne tolèrera pas les gusanos".
"La rue" en l'occurence est très manipulée, les gens convoqués ne savent pas exactement pourquoi ils sont là, ne connaissent pas ce qu'ils reprochent au dissident désigné à leur hargne, tout le monde est soigneusement filmé par la Seguridad del Estado, mots d'excuse au travail bien sûr, et à l'heure dite, tout le monde disparaît en moins de cinq minutes.
C'est très impressionnant, très effrayant aussi, c'est une violence légitimée, encouragée, mais surtout c'est une violence aveugle, qui ne cherche pas à savoir ce qu'elle est censée combattre.
Bref, cette amie vient de m'appeler, elle ne sait pas où son père a été arrêté, elle sait qu'il est au poste de police, mais pourquoi, jusqu'à quand…? Je pense malgré moi à ces journalistes indépendants condamnés à dix-quinze-vingt ans de prison ces dernières années. La voix de mon amie est moins directe que d'habitude, moins assurée. Elle sait aussi ce qui peut arriver, quand un journaliste indépendant est arrêté.
Une heure plus tard, elle me rappelle, son père est rentré, la police lui a posé des questions sur ces liens avec la maison devant laquelle le mitín a eu lieu, puis ils l'ont relâché. Cela ressemble fort à de l'intimidation.
Après deux heures et demi, le courant est revenu, la nuit se fait moins hostile.
25 septembre 2005
au jour le jour
Cet après midi, pas de gaz de ville. Juste avant, c'est l'électricité qui était absente, et donc l'eau aussi, de 7h du mat à 13 h. la veille aussi, elle avait été coupée, de 13 h à 19h. Ce sont les bons vieux longs apagons qui reviennent. Heureusement, une bonne nouvelle au journal télévisé : "note de l'entreprise nationale d'électricité : nous avons réussi à réparer la Guiteras dans les temps, en moins de 70 h. Malheureusement, un autre problème nous force à une nouvelle réparation, qui entraînera des perturbations dans le service d'électricité pendant les trois prochains jours…" Présentation alléchante, la déception n'est que plus grande.
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