Dimanche dernier, Juanes sur la Place de la révolution de La Havane, méga-concert à trois rues de mon ancien chez-moi ! Zut ! Je ne me souviens plus du nombre de fois où j’ai réclamé La camisa negra et A dios le pido dans les fêtes cubaines, je suis une grande fan, j’aurais adoré être là, soyons clair.
Pourtant, en regardant les images, j’ai l’impression d’un show plein de bonnes intentions et d’émotions un tantinet forcées. Presque un malentendu. Comme cet extrait où Juanes et Miguel Bosé chantent « une île qu’on appellerait liberté » : ils ont des mimiques pleines de souffrance, l’heure est grave, parlons de Cuba, "écoutez bien les paroles" recommande Bosé, qui l'a écrite il y a dix ans en revenant de Cuba justement… sauf que c’est encore et toujours une Cuba vue par les étrangers, cuba-cliché, cuba-étendard, cuba-je-parle-en-ton-nom-mais-je-parle-de-moi-en-fait.
Entendons-nous bien, je suis sûre que les Cubains étaient ravis du concert. Mais dans l'île les bons sentiments des "sympathisants" tombent souvent à plat, et il y a comme un décalage entre ce qu’ils croient signifier et ce qui touche les Cubains.
J’imagine un instant ce qu’aurait été de reprendre en chœur sur cette place Lucha tu yuca de Ray Fernández, ou les Aldeanos saluant les héros quotidiens qui ne sont pas ceux que l'on croit, ou Decadencia qui vient de surgir, ou même La yabo de la felpa azul, de Clan 537, qui évoque les abus policiers (sans même parler du Comandante de Porno para Ricardo).
Seule étincelle de second degré sur la scène de dimanche, involontaire : sur la demande de Juanes apparemment, Silvio Rodriguez a chanté Ojalá, belle chanson d'amour pour tout le monde —sauf pour les Cubains qui y voient un message voilé (à Fidel ? à Papito Serguera ? « Pourvu qu’un éclair te fasse disparaître soudainement, pour ne plus te voir tant, pour ne plus te voir toujours, à chaque seconde, à chaque vision...»).
PS : sur Penúltimos Días, le texte de l’échange entre Juanes, Bosé et des fonctionnaires cubains, à quelques heures du concert, où les deux chanteurs menacent de tout laisser tomber. Apparemment, ils viennent de se rendre compte qu’ils étaient surveillés, et en sont choqués. "Pourquoi nous humilient-ils comme ça ? Pourquoi nous maltraitent-ils comme ça?" gémit Miguel Bosé. C'est leur étonnement qui est étonnant : Juanes est-il si ingénu qu’il n'imaginait pas qu'il serait suivi à la trace, que tout, ses déplacements, ses rencontres, ses remarques, serait consciencieusement consigné ? Se croyait-il protégé par ses "bonnes intentions", quand c'est au contraire là que le G2 déploie le plus de zèle pour trouver des failles qui peuvent se révéler plus tard utiles ?