26 décembre 2009

les omni-amis



Juste pour le plaisir, pour partager la fantaisie et la joie de vivre des Omni, leur amitié généreuse et leur talent pour improviser chaque instant, ces courtes vidéos filmées lors de l’anniversaire de Nilo, un des membres du groupe, au printemps 2007.
On s’était retrouvé entre les barres d’immeubles d’Alamar, sur un bout de terrain vague entre des rangées de garages. Il y avait des bananiers, un chaudron plein de caldosa qui mijotait dans un coin, quelques planches en guise de bancs, un long fil pour amener un peu d’électricité, de la musique, le ciel étoilé au-dessus.
David avait chanté et rappé (une chanson dédiée à Alamar, une autre, ci-dessous, Amor, comme une provocation contre l'intolérance), Amaury avait dansé, joyeux et exubérant comme souvent, on avait mangé un cake azul bien kitsch, on avait dû partager à 20 une bouteille de rhum j’imagine.



Au début de ce mois, les Omni ont été expulsés de leur atelier, une pièce nue avec un four à céramique, un sol de béton peint, et des dessins partout. Le local faisait partie de la Maison de la culture d’Alamar (« al lado del doce plantas », à côté du bâtiment de 12 étages, c’est comme ça qu’on donnait l’adresse – le nom des rues perdu depuis longtemps).
Depuis quinze ans, ils travaillaient, créaient, « performaient », en gardant ce lien institutionnel, à la fois dedans et dehors, avec une inventivité et une énergie contagieuse.
A l’origine de l’expulsion, le stigmate de leurs liens avec Yoani, qu’ils connaissent depuis plusieurs années, et avec qui ils partagent le souci de la participation et de l’expression de tous. Sa présence possible dans leur festival dérangeait, visiblement.
Afin de se faire bien comprendre, le vice-ministre de la culture, Fernando Rojas, les a prévenus : « Si Yoani vient, je lui donnerai moi-même des coups de latte ».
Très élégant pour un ministre, résumé saisissant de la haute volée du débat politique à Cuba (ici, un petit exemple du teke de Rojas, histoire de mieux comprendre qui sont les révolutionnaires et qui sont les réactionnaires, dans la Cuba des années zéro).

Je me souviens m’être retrouvée une fois dans une fête improvisée chez ce monsieur Rojas. C'était au Nuevo Vedado, le quartier des hauts-fonctionnaires, en face de chez Carlos Lage, vice-président déchu depuis. A la fin d’une peña, j'y avais été entraînée par des potes qui étaient aussi des amis de Reinaldo et Yoani justement, des artistes, des trovadores, etc. 
Parfois, les amis des amis de mes amis ne sont pas mes amis...
Maison confortable, boissons en abondance, rires, blagues sur les Castro (nous parlons bien d'un vice-ministre) : illustration parfaite de la double morale qui mine Cuba. Et pour protéger cette situation, ce confort cynique, un homme au pouvoir ne trouve pas anormal de dire qu’il va frapper une femme parce qu'elle écrit un blog (par ailleurs tabassée par des flics en civil quelques semaines plus tôt). 
Non pas la contredire, non pas l'inviter à débattre.
Non, non, la frapper, simplement.

12 décembre 2009

agressions, ici et là-bas



Acto de repudio contre Reinaldo Escobar, 20 novembre 2009.
Photo : Sven Creutzmann/Mambo

Hier soir, dans une rue déserte, agressée par trois types qui voulaient me voler mon sac. Ils m’ont traînée par terre, rouée de coups, menacée de me « planter » avec un couteau que je n'ai pas vu. Ils se sont finalement enfuis sans le sac, que je ne lâchais pas malgré leurs coups de pieds.
Irruption soudaine de violence, c’est la première fois qu’on me frappe. J’avais peur, physiquement peur, je me sentais fragile, je ne savais pas comment ça allait finir. En même temps, je trouvais ça injuste, unfair, je ne voulais pas que ces trois types qui s'acharnaient contre une nana à terre y gagnent quoi que ce soit, et je résistais.
Bref, rien de bien grave finalement, mais un sentiment d’insécurité diffus et tenace, l’impression angoissante que la rue est un lieu menaçant. Cependant, je suis allée au commissariat porter plainte, un fonctionnaire m’a écoutée, a pris ma déposition, et je suis repartie avec le réconfort même illusoire que les coupables seraient punis s’ils étaient attrapés. Et bientôt je retrouverai ma confiance habituelle.
Cet accès de peur, et ce réconfort d'être défendue par des lois, me font penser aux violences et aux actos de repudio qui se succèdent avec zèle ces dernières semaines à Cuba — devant chez Vladimiro Roca, contre Yoani puis contre Reinaldo en plein centre-ville, contre les Dames en blanc avant-hier, contre les Omni qui m’écrivent qu’ils ont été délogés hier de leur atelier par des brigades de réponse rapide. Ou encore en mai dernier contre l’écrivain Angel Santiesteban, à qui deux types ont cassé le bras dans la rue en le traitant de contre-révolutionnaire.
Il n’y a pas mort d’homme, c’est vrai, il n’y a pas d’armes qui circulent dans ces manifestations haineuses sur commande, mais il y a le détail essentiel que cette violence s’exerce en toute impunité. Pour ceux qui en sont victimes, la peur physique, instinctive, est d’autant plus forte qu’ils se savent sans recours, hors de la protection de l’Etat. Pire : l’intimidation fait partie de la politique d’Etat *.
Imaginez un instant que ce soit vous la cible de cette politique, vous qui, disons, tenez un blog où vous critiquez ce qui vous semble critiquable, et qui, à chaque fois que vous sortez de chez vous, risquez d'être soudain encerclé de personnes hurlantes et véhémentes, prêtes à vous frapper sans états d’âme et sans conséquences.
Vous frapper vous, pas quelqu'un d'autre, pas par hasard.
Et tous ces gens qui vous assaillent sans vous connaître, vous ne pouvez même pas envisager de les raisonner : plus ils seront agressifs, mieux ce sera pour eux, ils ne sont là que pour ça. Des limites sont sûrement énoncées quelque part, mais vous ne les connaissez pas – vous savez juste que vous n'avez aucun abri possible.
Cette perspective angoissante imprègne vos jours et vos nuits, elle ne se réalise pas forcément, pas tous les jours, mais elle est latente. Et vous, la cible des attaques, restez seul avec la certitude de votre vulnérabilité, indefenso, à chaque minute. Sans répit.
Alors oui, vu de loin et de haut, ça semble juste une mauvaise mise en scène qui se répète, plus ou moins prévisible. Mais sur place, au milieu de la mêlée, la peur doit être dévorante.
C'est à l'aune de cette peur que se mesure aussi la détermination de s'exprimer, quand il est si simple de se taire.

* Fidel Castro, discours du 26 juillet 2005:
«Envalentonados por la aparente impunidad de sus aventuras, el pasado viernes 22 de julio, cuando todo el esfuerzo se concentraba en la reconstrucción del país, los “defensores de la sociedad civil” ―alentados por la Oficina de Intereses y fuertemente estimulados por los vuelos y transmisiones casi a diario de los aviones militares y los mensajes subversivos que entrañaban, unido a la creencia difundida por la mafia de Miami ya casi haciendo las maletas ante un inminente colapso de la Revolución― se animaron a instrumentar una nueva provocación; pero esta vez el pueblo, indignado con tan desvergonzados actos de traición, se interpuso con sus expresiones de fervor patriótico y no permitió moverse a un solo mercenario (Aplausos). Y así ocurrirá cuantas veces sea necesario (Aplausos) cuando traidores y mercenarios sobrepasen un milímetro más allá de lo que el pueblo revolucionario, cuyo destino y cuya vida están en juego frente al imperio más voraz, más inhumano y cruento de la historia, está dispuesto a permitir.»