22 novembre 2009

difformités intérieures


Para su seguridad, Rodolfo Peraza, La Habana, 2008

Du mal à écrire tellement je suis déprimée de ce qui se passe dans l’île. Mitin de repudio, manipulations poisseuses, opportunismes et lâchetés, dans l’île et au-dehors.
Un jour, un ami m’a raconté l’histoire de ce petit cochon élevé sous un évier, dans un appartement de La Havane — un de ces gorets dont on coupe les cordes vocales pour qu’ils ne fassent pas de bruit pendant les quelques mois où on les engraisse à domicile.
Les appartements sont petits, le logement est un problème récurrent. Bref, on l’avait placé sous un évier, pour qu’il ne dérange pas trop. Il avait grandi, grossi, sans jamais sortir de son recoin, sans pouvoir bouger. Arrive Noël, son heure a sonné, vaya, un lechón para Navidad !
On le sort pour le tuer et le manger. Et là, vision dégoûtante : l’animal avait la colonne vertébrale tordue par la bonde de l’évier, son corps avait grandi autour, difforme, un large trou au milieu du dos. Animal dénaturé, monstrueusement adapté à ses conditions.

J’ai parfois l’impression que les Cubains sont ainsi, difformes à l’intérieur. A première vue, ça ne se remarque pas. Ils s’adaptent aux conditions dans lesquels ils doivent grandir et vivre, et ils poussent tordus, bifides. Pour beaucoup, les mots sont creux, n’ont plus de sens, les engagements ne valent rien, ils abdiquent toute forme de responsabilité personnelle.
Et quand on leur demande de venir participer à la curée contre des gens qu’ils ne connaissent pas, de jouer leur rôle sinistre dans la simulation générale qui les enferme aussi, ils obéissent comme des robots, total : si personne n’est responsable de rien, chico, et si tout le monde est pourri. Presque un divertissement finalement. Sans oublier les avantages décisifs et souterrains dans la comptabilité mesquine des mérites idéologiques (une ligne de téléphone, une autorisation pour une bourse à l’étranger, un peu de pouvoir… l’éventail est large quand tout est sous séquestre).

Il y a deux semaines, alors que Yoani partait rejoindre une manif inédite organisée par Omni entre autres, elle a été enlevée dans une voiture par des segurosos, frappée, menacée. Un des types, en civil, a été identifié comme «l’agent Rodney», photo à l’appui. Reinaldo, le mari de Yoani, a alors publiquement donné rendez-vous à ce fameux Rodney, qu’il vienne expliquer cette violence sadique envers une femme, l'assumer, en personne.
Le rendez-vous était fixé au coin des rues G et 23, vendredi soir. Et là, surprise : un festival de la jeunesse sorti du chapeau par les autorités, même heure, même endroit, annoncé la veille au journal télévisé. Et «le peuple» réuni pour l'occasion, si attentif, si spontané, a immédiatement reconnu (mais comment ?) les «mercenaires» qui se tenaient là, et lancé un de ces acto de repudio dont Cuba a la triste paternité.
Voilà, c’est comme ça que ça fonctionne. Il y a la manipulation et l’acceptation de la manipulation, et l’ensemble est à vomir.
Et par-dessus ça, dans cet environnement fielleux, les jalousies, les mesquineries, les divisions qui n'ont même pas à être manipulées, la nature humaine étant ce qu'elle est.