Cette fois-ci, le cyclone n’a pas eu droit à un surnom, comme on en donne souvent dans la presse locale : après Ivan le terrible, l’an dernier, il y avait notamment eu Dennis, le cyclone mercenaire (parce qu’il était entré par la baie des Cochons, près de Cienfuegos). Mais Wilma, c’était plus délicat, ça ressemble beaucoup à Vilma, le nom de la femme de Raul Castro.
Donc Wilma est passée, et elle a inondé La havane (entre autres). Heureusement il y avait eu beaucoup d’évacuations les jours précédents, cela faisait une semaine qu’on l’attendait.
A chaque arrivée de cyclone, c’est la même chose. La vie est normale, tout le monde vaque à ses activités, et tout d’un coup, un jour, lors des infos du midi ou du soir, la présentatrice nous parle d’une tempête tropicale qui est en train de se former, et qui pourrait menacer Cuba.
A partir de ce moment-là, l’atmosphère change complètement dans la ville, nous entrons tous dans l’attente, nous sommes comme en sursis, le journal ne parle plus que de la préparation au cyclone, à la télé, à la radio.
Généralement, il est impossible de réaliser des activités normales dans ces jours pré-cycloniques. Tout le monde commence à faire des réserves comme il peut, des conserves (chères, dans les magasins en devises uniquement), de l’eau que l’on fait bouillir à l’avance pour avoir de l’eau potable, des bougies quand on a de la chance. On entend réellement partout dans les rues des coups de marteaux, qui plantent les clous dans les planches ou les bouts de bois qui protègeront les fenêtres des bourrasques. Les écoles ferment, pas mal de bureaux aussi.
Le cyclone, qui n’existait pas la veille, devient le principal sujet de conversation, et tout le monde dans ces moments-là regarde le Noticiero avec attention. Les uns donnent leur avis, les autres citent José Rubiera, notre monsieur Météo national, une perle : en temps de cyclone, Rubiera ne dort plus, il est avec nous 24 heures sur 24, à la télévision, dès l’aube, à midi, tard le soir, on le voit sans cesse, lui et sa grosse moustache, ses cheveux en brosse, son regard légèrement strabique, mais surtout sa pédagogie.
C’est grâce à lui que depuis vingt ans, chaque Cubain est capable d’évaluer n’importe quel cyclone, de parler de basse pression comme on parlerait d’un film qu’on a aimé. Rubiera sait tout sur le sujet, c’est un passioné, qui évoque souvent tel ouragan de 1910 ou tel autre de 1944, s’efforce de rendre compréhensibles des séries de chiffres, et nous explique avec force gestes la trajectoire de l’oeil menaçant, sur la carte météo. Bref, il devient un nouveau membre de la famille, dans chaque maison, durant les quelques jours que dure le cyclone.
Mais cette fois-ci, on n’en pouvait plus d’attendre : Wilma avançait tellement lentement, à 8 km/h contre au moins 18-20 km/h d’habitude. Elle devait arriver près de Cuba vendredi matin, elle est finalement passée lundi matin : trois jours de plus, dans ce temps suspendu, avec la plupart des commerces barricadés derrière les plaques de contreplaqués ou les étoiles de gros scotch marron. C’est une attente qui devient à la longue exaspérante, qui fait souhaiter que le cyclone arrive vite, puisque de toute façon il n’y a rien à faire pour l’éviter.
Quand enfin le cyclone arrive, tout le monde a fait ses provisions de mauvais rhum, et une fois la maison bien barricadée, on va chez des amis pour jouer aux dominos. Une variante, aperçue cette fois-ci sur un balcon de ma rue. Vers 23 heures, alors que la nuit et les bourrasques rendaient l'extérieur peu hospitalier, deux hommes étaient assis autour d’un jeu d’échecs, sur leur balcon, éclairés par une de ces lampes rechargeables à la lumière bleutée. Tranquilles, concentrés malgré les coups de vent, ils jouaient aux échecs au milieu de l'ouragan…