Une amie comédienne m’appelle la semaine dernière. Elle est très gênée de me demander ça, mais elle ne sait pas à qui s’adresser, elle ne connaît personne qui ait une voiture. L’appart où elle vivait, un rez de chaussée à deux rues du Malecon, a été inondé par Wilma. Elle avait tout bien fermé, était allée passer le cyclone chez des amis, mais lundi matin, elle avait trouvé les eaux à hauteur de cuisse, et n’avait pas pu entrer chez elle. Le mardi, après que l’eau soit un peu redescendue, elle avait pu ouvrir sa porte. Tout était sens dessus dessous, l’eau était montée à un mètre. Ca parait peu, mais c’est fou les dégâts que fait un mètre d’eau dans une maison. Tous ses papiers, ses livres, trempés, éparpillés, son frigo hors d’usage, sa télé aux mains d’un ami en train de la sécher avec un séchoir à cheveux, son matelas plein d’eau boueuse et salée…
Avec une dizaine d’amis, elle avait vidé l’eau de l’appart, mis à sécher les draps et quelques fringues, récupéré ses deux tortues, qui avaient dû être surprises de nager soudain dans des flots aussi élevés, taillé impitoyablement la vigne qui ombrageait son patio pour que le soleil et le vent puisse sécher un peu toute l’humidité poisseuse des sols.
On a chargé quelques valises de fringues et de papiers, et on est allées chez sa mère, à la campagne, à une heure de voiture de La Havane. L’idée était de laisser ces affaires là-bas, que sa mère puisse les laver, pour sauver au moins quelques trucs. Le déballage fut assez triste, les fringues déteintes dégageaient une odeur nauséabonde, les lettres et les photos personnelles étaient toutes délavées et irrécupérables, ses diplômes, ses papiers de même. D’un coup, elle se retrouvait sans passé, ou du moins, sans traces de son passé.
C’est d’autant plus violent qu’en général les Cubains ont peu de choses dans leurs maisons. A part quelques babioles en porcelaines made in China, et des fleurs artificielles aux couleurs improbables, les seuls biens précieux sont souvent les photos des Quince de la fille de la maison (un rituel, souvent accroché aux murs), et les diplômes, qui constituent une véritable épidémie ici (diplôme de présence à tel acte, certificat de vanguardista de telle année, etc…) A part ça, la décoration est minimale, et l’on a rarement des doubles de quoi que ce soit.
Le jour des inondations, venue voir les dégâts près du Malecon transformé en fleuve, j’ai rencontré une dame qui m’a expliqué qu’elle n’avait pas pu évacuer son frigo, ni son matelas. “Mais vous habitez où?” Elle m’a montré l’entrée d’un garage à voiture, en sous-sol, complètement rempli d’eau. “Dans le garage ?” Pas exactement, au fond du garage, elle a construit un mur pour faire sa maison là. Elle même est sortie la nuit du cyclone pour dormir chez des voisins au-dessus, mais elle n’a pas pu sortir ses affaires, et maintenant tout est perdu. Quand un frigo coûte 400 dollars dans les magasins de l’Etat, et que le salaire moyen est de 12 dollars par mois…