Nous sommes jeudi soir. Depuis mercredi matin, les Vénézueliens et les Boliviens savent que leurs présidents respectifs Hugo Chavez et Evo Morales vont se rendre samedi à La Havane pour signer avec Fidel Castro un accord commercial. Les Cubains, non.
Ni le quotidien du parti communiste, ni le quotidien des jeunesses communistes, ni les six journaux télévisés, ni les deux "Mesa Redonda" qui se sont succédés depuis mercredi matin n’ont mentionné le sujet, qui n’est rien de moins qu’un mini-sommet régional.
L’annonce sera sûrement faite demain dans la journée, voire peut-être samedi, le jour même de la rencontre : il y a ici une grande tendance à réserver des effets d’annonce, à réduire l’horizon de l’information au seul lendemain.
Je me souviens il y a deux ans, un dimanche soir, au journal télévisé, le présentateur a annoncé que dès le lendemain matin, tous les magasins en devises seraient fermés jusqu’à nouvel ordre. Sans préavis, sans consultations, sans délais. Tout le monde fut pris par surprise.
Le lendemain, les magasins étaient effectivement fermés, impossible de trouver des chaussures neuves, des vêtements neufs, des jouets pour les enfants, de l'electroménager, et toutes sortes de choses qu’on ne vend que dans ces magasins en «monnaie dure».
Pendant deux semaines, aucune information n’a été donnée sur leur réouverture prochaine ou leur fermeture définitive, les rumeurs couraient, délirantes, jusqu’à un éditorial du Granma qui annonçait leur réouverture le jour même, avec une hausse de prix de l’ordre de 15%.
Un autre matin, il y a quelques mois, nous nous sommes réveillés, littéralement, avec des «travailleurs sociaux» à la place des pompistes, dans les stations-services. Une foule de jeunes gens venu de l'Oriente, vêtus des mêmes jeans et des mêmes t-shirts bleu foncé, avaient été débarqués dans chaque pompe à essence, tandis que les employés habituels étaient renvoyés chez eux.
Ce n’est qu’après plusieurs jours de silence que les médias officiels avaient expliqué qu’il s’agissait d’une mesure pour lutter contre le marché noir d’essence, devenu incontrôlable.
Un fonctionnement déroutant, comme si le but des médias cubains n'étaient pas d'informer les Cubains des décisions prises, mais plutôt de les prévenir au dernier moment, ou même un peu après.
28 avril 2006
27 avril 2006
un nouveau record
Ca y est, nous avons battu un nouveau record ! C’est Granma qui nous l’apprend : il s’agit du record de chaleur pour le mois d’avril. A Santiago de las Vegas, par exemple, dans la province de La Havane, le thermomètre est monté jusqu’à 34,4 ° ; le record précédent de chaleur pour le mois d’avril datait de 1969, avec 34°.
En règle générale, les médias cubains raffolent des records. Plus c’est démesuré, inégalé, nouveau, mieux c’est. On les retrouve partout.
Il y a deux ans, par exemple, Fidel avait commencé son traditionnel discours du premier mai en remarquant l’affluence sur la Place de la révolution : « Je crois bien qu’aujourd’hui, nous avons battu tous les records ! » (Acclamations) « Nous sommes plus d’un million deux cent mille sur la Place aujourd’hui » (applaudissements)…
Tout peut être sujet à record, même dans des contextes dramatiques : je me souviens lors de l’arrivée d’un cyclone, cet automne, un envoyé de la télévision cubaine dans l’île de la Jeunesse recevait dans son petit studio un spécialiste en hydrologie pour qu’il fasse le point sur la situation de l’île de ce côté-là.
Le type, très calme, explique au journaliste que les lacs de contention sont saturés, que plusieurs ont dû commencer à rejeter de l’eau pour pouvoir accueillir celle qui va tomber dans les jours à venir, et que la moyenne historique de pluie du mois d’octobre a déjà été dépassée, en ce 19 octobre.
Et là, l’étincelle apparait dans les yeux du journaliste, il rebondit au vol sur ce que vient de dire le type, il ne peut pas s’en empêcher, je suis sûre qu’il le regrette après, mais il s’exclame tout émoustillé : «Mais alors, avec les dix jours qu’il reste et le cyclone qui arrive, nous allons établir un nouveau record de pluie pour le mois d’octobre!»… el record… même si pour ça, des champs et des villages vont être inondés, des récoltes dévastées, des habitants évacués, il ne peut pas s’empêcher de se réjouir à l’idée de ce nouveau record…
En face de lui, le spécialiste, un peu surpris, confirme qu’effectivement, « il risque de tomber beaucoup de pluie ».
En règle générale, les médias cubains raffolent des records. Plus c’est démesuré, inégalé, nouveau, mieux c’est. On les retrouve partout.
Il y a deux ans, par exemple, Fidel avait commencé son traditionnel discours du premier mai en remarquant l’affluence sur la Place de la révolution : « Je crois bien qu’aujourd’hui, nous avons battu tous les records ! » (Acclamations) « Nous sommes plus d’un million deux cent mille sur la Place aujourd’hui » (applaudissements)…
Tout peut être sujet à record, même dans des contextes dramatiques : je me souviens lors de l’arrivée d’un cyclone, cet automne, un envoyé de la télévision cubaine dans l’île de la Jeunesse recevait dans son petit studio un spécialiste en hydrologie pour qu’il fasse le point sur la situation de l’île de ce côté-là.
Le type, très calme, explique au journaliste que les lacs de contention sont saturés, que plusieurs ont dû commencer à rejeter de l’eau pour pouvoir accueillir celle qui va tomber dans les jours à venir, et que la moyenne historique de pluie du mois d’octobre a déjà été dépassée, en ce 19 octobre.
Et là, l’étincelle apparait dans les yeux du journaliste, il rebondit au vol sur ce que vient de dire le type, il ne peut pas s’en empêcher, je suis sûre qu’il le regrette après, mais il s’exclame tout émoustillé : «Mais alors, avec les dix jours qu’il reste et le cyclone qui arrive, nous allons établir un nouveau record de pluie pour le mois d’octobre!»… el record… même si pour ça, des champs et des villages vont être inondés, des récoltes dévastées, des habitants évacués, il ne peut pas s’empêcher de se réjouir à l’idée de ce nouveau record…
En face de lui, le spécialiste, un peu surpris, confirme qu’effectivement, « il risque de tomber beaucoup de pluie ».
15 avril 2006
nouvelles tendances
Non, je ne vais pas parler des fêtes de Pâques, parce qu’ici, c’est un week-end comme un autre, avec juste un petit chemin de croix autorisé par les autorités, par-ci par-là.
Donc, voici plutôt des nouvelles de l’art contemporain cubain, en ces temps de biennale : il y a eu il y a quelques semaines un « cabaret » organisé dans le Salon rosado de La Tropical. D’habitude, ce lieu est le temple de la salsa, où un public de mala fama vient passer ses soirées en dansant en plein air, et en buvant du rhum chispa de tren vendu en monnaie nationale (on le voit dans Suite Habana, le documentaire de Fernando Perez).
Mais ce soir-là, le public est différent, entre artistes branchés et étudiants désoeuvrés. Au programme : une succession de numéros, les uns musicaux, les autres vidéos, agrémentés de quelques happenings sur scène.
Ca commence fort : un groupe de punk rock cubain, déguisé avec d’énormes masques, étripe un chat sur scène, et s’enduit de son sang (des amis m’ont dit que c’était un lapin : le doute persiste, de loin, je n’ai pas bien identifié la bestiole).
Un peu plus tard, sur l’écran vidéo, projection d’un court-métrage d’une Dominicaine, intitulé « Betty enjoyed it too ». Apparaît Betty Boop, accompagnée d’une musique guillerette. L’amie cubaine qui m’accompagne est ravie, elle n’a jamais vu de dessin animé de Betty Boop en entier, me dit-elle.
Oui, mais voilà, rapidement l’image de Betty Boop se dilue en transparence, et durant cinq minutes, l’on voit surtout un film porno amateur projeté comme en fond d’écran.
A Cuba, depuis 47 ans, la pornographie est interdite, et dûrement sanctionnée par la loi. Voir des images porno, qui plus est en public et sur grand écran, est plutôt déstabilisant, et carrément transgressif.
Pour rester dans la transgression, un peu plus tard, une jeune femme, cubaine, arrive sur scène, s’installe de profil à une table posée là, et commence à manger une énorme platée de nourriture, en silence, longuement. Tout le monde la regarde, les uns font des commentaires sur ce qu’elle mange, d’autres se rappellent qu’ils ont faim et en font des blagues.
Quand la jeune femme termine son assiette, après une bonne dizaine de minutes, elle attache ses longs cheveux, se tourne vers le public, et commence à vomir, tout simplement. Elle vomit presque aussi longtemps que le temps qu’elle a pris pour manger. Puis elle se lève et s’en va.
J’avais été surprise de ces quelques morceaux visuellement choquants, mais il y a quelques jours, je suis allée voir une chorégraphie de danse moderne au Théâtre national.
A la fin, les danseurs s’installaient sur des chaises face à un écran. Une vidéo de cinq minutes nous montrait alors l’égorgement d’un cochon de lait, le bouillonnement du sang jaillissant de sa gorge en gros plan, et les mouvements frénétiques de ses petites pattes. Quelques minutes plus tard, sur la scène les danseurs réapparaissaient avec une assiette à la main. Ils mangeait, puis se penchaient sur de petits seaux posés à côté d’eux, et vomissaient.
Mort, sang, vomissement, sexe. Ca doit être ce qu’on appelle une tendance…
Donc, voici plutôt des nouvelles de l’art contemporain cubain, en ces temps de biennale : il y a eu il y a quelques semaines un « cabaret » organisé dans le Salon rosado de La Tropical. D’habitude, ce lieu est le temple de la salsa, où un public de mala fama vient passer ses soirées en dansant en plein air, et en buvant du rhum chispa de tren vendu en monnaie nationale (on le voit dans Suite Habana, le documentaire de Fernando Perez).
Mais ce soir-là, le public est différent, entre artistes branchés et étudiants désoeuvrés. Au programme : une succession de numéros, les uns musicaux, les autres vidéos, agrémentés de quelques happenings sur scène.
Ca commence fort : un groupe de punk rock cubain, déguisé avec d’énormes masques, étripe un chat sur scène, et s’enduit de son sang (des amis m’ont dit que c’était un lapin : le doute persiste, de loin, je n’ai pas bien identifié la bestiole).
Un peu plus tard, sur l’écran vidéo, projection d’un court-métrage d’une Dominicaine, intitulé « Betty enjoyed it too ». Apparaît Betty Boop, accompagnée d’une musique guillerette. L’amie cubaine qui m’accompagne est ravie, elle n’a jamais vu de dessin animé de Betty Boop en entier, me dit-elle.
Oui, mais voilà, rapidement l’image de Betty Boop se dilue en transparence, et durant cinq minutes, l’on voit surtout un film porno amateur projeté comme en fond d’écran.
A Cuba, depuis 47 ans, la pornographie est interdite, et dûrement sanctionnée par la loi. Voir des images porno, qui plus est en public et sur grand écran, est plutôt déstabilisant, et carrément transgressif.
Pour rester dans la transgression, un peu plus tard, une jeune femme, cubaine, arrive sur scène, s’installe de profil à une table posée là, et commence à manger une énorme platée de nourriture, en silence, longuement. Tout le monde la regarde, les uns font des commentaires sur ce qu’elle mange, d’autres se rappellent qu’ils ont faim et en font des blagues.
Quand la jeune femme termine son assiette, après une bonne dizaine de minutes, elle attache ses longs cheveux, se tourne vers le public, et commence à vomir, tout simplement. Elle vomit presque aussi longtemps que le temps qu’elle a pris pour manger. Puis elle se lève et s’en va.
J’avais été surprise de ces quelques morceaux visuellement choquants, mais il y a quelques jours, je suis allée voir une chorégraphie de danse moderne au Théâtre national.
A la fin, les danseurs s’installaient sur des chaises face à un écran. Une vidéo de cinq minutes nous montrait alors l’égorgement d’un cochon de lait, le bouillonnement du sang jaillissant de sa gorge en gros plan, et les mouvements frénétiques de ses petites pattes. Quelques minutes plus tard, sur la scène les danseurs réapparaissaient avec une assiette à la main. Ils mangeait, puis se penchaient sur de petits seaux posés à côté d’eux, et vomissaient.
Mort, sang, vomissement, sexe. Ca doit être ce qu’on appelle une tendance…
13 avril 2006
jours de pluie à La Havane
La chaleur qui nous assomme le reste de l’année est rafraîchie au printemps par des pluies soudaines, violentes, et courtes. Pour la première de l’année, les enfants vont courir sous les gouttes, on dit que ça porte bonheur.
Depuis quelques jours, le ciel est couvert, il y a des coups de vent, la pluie crépite sur les feuilles des bananiers du patio d'à côté…
Dernier répit avant l’été implacable, « où les chaleurs humides se jettent sur toi comme un énorme animal vivant qui te tourmente pendant le jour, te persécute avec le soleil implacable, et la nuit, s’allonge à tes côtés » (Raul Rivero)
Depuis quelques jours, le ciel est couvert, il y a des coups de vent, la pluie crépite sur les feuilles des bananiers du patio d'à côté…
Dernier répit avant l’été implacable, « où les chaleurs humides se jettent sur toi comme un énorme animal vivant qui te tourmente pendant le jour, te persécute avec le soleil implacable, et la nuit, s’allonge à tes côtés » (Raul Rivero)
04 avril 2006
bureaucratie ?
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué, et pourquoi faire compliqué quand on peut faire un peu plus compliqué ?
A Cuba, nous avons quatre formats différents de photos d’identité : les «fotos-carné», les plus petites, minuscules ; celles pour le permis de conduire, à peine plus grandes paraît-il ; les «fotos-visa», intermédiaires ; et enfin les «fotos-pasaporte», très grandes.
Bien sûr, il ne s’agit pas de se tromper, et d’amener un format plutôt qu’un autre quand on doit faire des démarches : c’est catégoriquement irrecevable.
Et si l’on demande, naïvement, pourquoi il n’existe pas un format unique de photos d’identité, puisqu’après tout, elles n’ont jamais que la même fonction d’identification, on a droit au mieux à un regard étonné, au pire à la compassion pour l’étranger qui décidément n’a rien compris.
Bref, vous aurez deviné à quoi j’ai passé ma journée.
A Cuba, nous avons quatre formats différents de photos d’identité : les «fotos-carné», les plus petites, minuscules ; celles pour le permis de conduire, à peine plus grandes paraît-il ; les «fotos-visa», intermédiaires ; et enfin les «fotos-pasaporte», très grandes.
Bien sûr, il ne s’agit pas de se tromper, et d’amener un format plutôt qu’un autre quand on doit faire des démarches : c’est catégoriquement irrecevable.
Et si l’on demande, naïvement, pourquoi il n’existe pas un format unique de photos d’identité, puisqu’après tout, elles n’ont jamais que la même fonction d’identification, on a droit au mieux à un regard étonné, au pire à la compassion pour l’étranger qui décidément n’a rien compris.
Bref, vous aurez deviné à quoi j’ai passé ma journée.
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