09 septembre 2006

normalité

Un ami me demande, comme une devinette : « Tu sais pourquoi les Américains ne pourront jamais en découdre avec Cuba ? C’est parce qu’ils ne peuvent pas nous comprendre, personne ne peut nous comprendre. Figure-toi que dans le quartier d’un ami à moi, les échanges de frigos * ont eu lieu à deux heures du matin. Il était chez lui, en train de dormir du sommeil du juste, quand au milieu de la nuit on a frappé à sa porte avec insistance ; il a ouvert, les camions étaient là.
— C’est pour changer votre frigo .
— Mais il est deux heures du matin…
— Oui oui, je sais.
Un point c’est tout, rien à discuter, on se lève au milieu de la nuit pour aller dans la cuisine expliquer entre deux baillements comment marche le nouveau frigo. Et c'est pareil dans tout le quartier.
Quelle est l’urgence ? Pues, no sé. Mais imagine tous les satellites américains braqués sur Cuba, qui voient un mouvement suspect de camions au milieu de la nuit : «Attention, mouvement de troupes dans la banlieue de La Havane !» Pas du tout : juste un échange de frigos. »
C’est vrai, difficile de comprendre quelle est la raison de cette heure impossible. Est-ce pour maintenir les gens sur le pied de guerre ? Disponibles jour et nuit pour de nouvelles batailles, qui peuvent être celle de la pomme de terre, celle contre le moustique, celle pour économiser l’énergie ? Dans son dernier livre, Leonardo Padura parle du « cansancio histórico », la fatigue historique de ses compatriotes : « A force de vivre en permanence dans l’exceptionnel, l’historique, le transcendental, les gens se lassent, et veulent la normalité».

* Organisés par l’Etat, ces échanges doivent rénover le parc des frigos, souvent obsolètes; en échange du vieux frigo américain des années 50 ou soviétique des années 70, les autorités vendent à crédit mais au prix fort un frigo neuf, chinois.

1 commentaire:

antagonisme a dit…

Super. J'apprends plein de trucs sur Cuba. J'aime les mentalités non-occidentales et irrationnelles que l'on trouve dans ces pays lointains. Continue.