06 mars 2006

le coupe-tête

Le « Coupe-tête » parcourt les rues de La Havane, plus précisément du quartier 10 de octubre, dans le sud de la ville. Il est arrivé dans les conversations à l’improviste il y a deux semaines environ.
Une vieille voisine m’a prévenue un soir, où je rentrais tard à la maison : « attention, il y a un homme qui erre dans les rues en vélo avec une machette, et qui coupe les gens ». J’ai souri, je lui ai dit que tout ça c’était des rumeurs, comme il y en a souvent ici, invérifiables, et souvent infondées.
Mais le lendemain, j’ai reçu un mail groupé anonyme, avec une photo d’un homme : attention, cet homme est le cortacaras, le coupe-tête. Le texte qui l’accompagnait était des plus réactionnaires, parlant d’une société révolutionnaire où des hommes dérangés comme lui n’avaient pas leur place, et disant qu’il fallait augmenter la vigilance citoyenne.
Deux jours plus tard, c’est une autre amie qui me dit qu’à l’école primaire, son petit frère a eu droit à quelques mots du professeur à propos du cortacaras, accompagnés de la fameuse photo.
Une amie qui vit dans le quartier d’action du coupe-tête s’est fait raccompagner spontanément par des passants un soir.
Enfin, dans ce même quartier, deux amis se sont retrouvés un jour devant la clinique de quartier, prise d’assaut par une foule hostile : à l’intérieur, un gars déjà à moitié lynché, et que les gens rassemblés là ne voulaient pas laisser partir. Le type avait sorti un couteau dans un camello pour voler un des passagers. Ca a mal tourné, tout le monde a vu en lui le cortacaras, et ils ont commencé à le frapper. D’après ces amis, il était en très mauvais état dans cette clinique de quartier, et les flics n’arrivaient pas à le faire sortir de là.
Au milieu de toute cette effervescence qui remplit La Havane, pas un mot officiel sur cette histoire, ce n’est que la rumeur qui transporte les nouvelles, rajoutant ses fantasmes. Les médias nationaux, la police, les hommes politiques, tout ce qui pourrait avoir une once de responsabilité et de crédibilité, tout ce monde est muet.
Le problème dans ces cas-là, c’est que la moindre vérification est impossible, totalement impossible, et les rumeurs deviennent monstrueuses : je crains parfois que la photo qui circule officieusement dans les écoles et sur les mails ne soit celle d’un pauvre type qui n’a rien à voir avec ça.
Il a quelques mois, la rumeur de trois italiens retrouvés égorgés dans des poubelles de Centro Habana avait couru de la même façon. Suivant les versions, ils étaient trois, ou cinq, accompagnés d’une jinetera, ou de trois, ils étaient égorgés, ou poignardés.
Une dizaine de personnes m’ont assuré que c’était vrai, des diplomates m’ont garanti la véracité de leurs sources, etc. Au bout du compte, le consulat italien n’a enregistré aucune mort de ressortissant national à La Havane à ce moment-là.

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