C’est toute une époque qui s’achève : on m’a volé mon vélo, celui que j’avais trouvé à quelques semaines de mon arrivée, il y a un an et demi. Ca s’est passé pendant les jours précédant l’arrivée de Wilma, dans l’effervescence pré-cyclonique, quelqu’un s’est faufilé dans la maison, et pffuit, envolé mon Flying Pigeon 26 préféré, un chinois rouge et lourd, sans lumières, sans sonnette, sans changement de vitesse, aux freins faits de tiges de fer…
Même si j’ai transpiré avec lui, sous le soleil impitoyable des tropiques, il a changé ma vie, de piéton sans recours à cycliste chanceuse. Mais c’est fini maintenant.
Heureusement, pour me déplacer, j’ai une voiture depuis quelques mois, un vrai luxe ici. Du coup, comme tous les conducteurs je suis assaillie à chaque feu rouge, par tous ceux qui n’ont ni vélo, ni voiture, ni dix pesos pour prendre les taxis collectifs, ni deux heures devant eux pour attendre le camello, le bus camion à deux bosses.
Chaque jour, je prends entre cinq et dix personnes en stop au cours de mes déplacements, parfois on discute longuement, parfois le trajet se passe en silence.
J’ai eu l’occasion de rencontrer comme ça une actrice de radio feuilleton, qui m’a improvisé un spectacle d’imitations de voix, une ex-ambassadrice à la retraite, des étudiants sud américains inscrits ici dans le cadre de bourses cubaines, un grand nombre d’employés de divers magasins d’Etat, une neuro-chirurgienne, une spécialiste du fromage, une anesthésiste, des militaires, des policiers, une nana du Malecon à l’appartement dévasté par Wilma, une femme venue de l’île de la Jeunesse visiter sa sœur en prison à La Havane, condamnée pour détournements à quinze ans de prison,…
Une nuit, au coeur de Centro Habana, c’est même une foule qui m’a fait stopper dans une rue sans éclairage, au milieu d'une coupure de courant. Je n’étais pas trop rassurée, on raconte tellement d’histoires sordides ces derniers temps sur la délinquance havanaise. Mais là, c’était une vieille dame de 92 ans que ses voisins avaient retrouvé inconsciente dans son solar. Ils cherchaient un moyen de transport à l’hôpital Ciro Garcia, derrière l’université, et l’on a foncé vers les urgences.